Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/178

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Arunta, il en est un si sacré qu’il est interdit de le révéler à un étranger ; on ne le prononce que rarement, à voix basse, dans une sorte de murmure mystérieux. Or, ce nom s’appelle aritna churinga (aritna veut dire nom)[1]. Plus généralement, le mot de churinga désigne tous les actes rituels ; par exemple, ilia churinga signifie le culte de l’Émou[2]. Le churinga tout court, employé substantivement, c’est donc la chose qui a pour caractéristique essentielle d’être sacrée. Aussi les profanes, c’est-à-dire les femmes et les jeunes gens non encore initiés à la vie religieuse, ne peuvent-ils toucher ni même voir les churinga ; il leur est seulement permis de les regarder de loin, et encore est-ce dans de rares circonstances[3].

Les churinga sont conservés pieusement dans un lieu spécial qui est appelé chez les Arunta l’ertnatulunga[4]. C’est une cavité, une sorte de petit souterrain dissimulé dans un endroit désert. L’entrée en est soigneusement fermée au moyen de pierres si habilement disposées que l’étranger qui passe à côté ne peut pas soupçonner que, près de lui, se trouve le trésor religieux du clan. Le caractère sacré des churinga est tel qu’il se communique au lieu où ils

  1. Nat. Tr., p. 139 et 648 ; Strehlow, II, p. 75.
  2. Strehlow, qui écrit Tjurunga, donne du mot une traduction un peu différente. « Ce mot, dit-il, signifie ce qui est secret et personnel (der eigene geheime). Tju est un vieux mot qui signifie caché, secret, et runga veut dire ce qui m’est propre. » Mais Kempe qui a, en la matière, plus d’autorité que Strehlow, traduit tju par grand, puissant, sacré (Kempe, Vocabulary of the Tribes inhabiting Macdonnell Ranges, s. v. Tju, in Transactions of the R. Society of Victoria, t. XIII). D’ailleurs, au fond, la traduction de Strehlow ne s’éloigne pas de la précédente autant qu’on pourrait le croire au premier abord ; car ce qui est secret, c’est ce qui est soustrait à la connaissance des profanes, c’est-à-dire ce qui est sacré. Quant à la signification attribuée au mot runga, elle nous paraît très douteuse. Les cérémonies de l’émou appartiennent à tous les membres du clan de l’émou ; tous peuvent y participer ; elles ne sont donc la chose personnelle d’aucun d’eux.
  3. Nat. Tr., p. 130-132 ; Strehlow, II, p. 78. Une femme qui a vu churinga et l’homme qui le lui a montré sont également mis à mort.
  4. Strehlow appelle cet endroit, défini exactement dans les termes mêmes qu’emploient Spencer et Gillen, arknanaua au lieu d’ertnatuluriga (Strehlow, II, p. 78).