Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/179

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sont ainsi déposés : les femmes, les non-initiés ne peuvent en approcher. C’est seulement quand l’initiation est complètement terminée que les jeunes gens en ont l’accès : encore en est-il qui ne sont jugés dignes de cette faveur qu’après plusieurs années d’épreuves[1]. La religiosité du lieu rayonne même au-delà et se communique à tout l’entourage : tout ce qui s’y trouve participe du même caractère et, pour cette raison, est soustrait aux atteintes profanes. Un homme est-il poursuivi par un autre ? S’il parvient jusqu’à l’ertnatulunga, il est sauvé ; on ne peut l’y saisir[2]. Même un animal blessé qui s’y réfugie doit être respecté[3]. Les querelles y sont interdites. C’est un lieu de paix, comme on dira dans les sociétés germaniques, c’est le sanctuaire du groupe totémique, c’est un véritable lieu d’asile.

Mais les vertus du churinga ne se manifestent pas seulement par la manière dont il tient le profane à distance. S’il est ainsi isolé, c’est qu’il est une chose de haute valeur religieuse et dont la perte lèserait gravement la collectivité et les individus. Il a toute sorte de propriétés merveilleuses : par attouchement, il guérit les blessures, notamment celles qui résultent de la circoncision[4] ; il a la même efficacité contre la maladie[5] ; il sert à faire pousser la barbe[6] ; il confère d’importants pouvoirs sur l’espèce totémique dont il assure la reproduction normale[7] ; il donne

  1. North. Tr., p. 270 ; Nat. Tr., p. 140.
  2. Nat. Tr., p. 135.
  3. Strehlow, I I, p. 78. Strehlow dit pourtant qu’un meurtrier qui se réfugie près d’un ertnatulunga y est impitoyablement poursuivi et mis à mort. Nous avons quelque mal à concilier ce fait avec le privilège dont jouissent les animaux, et nous nous demandons si la rigueur plus grande avec laquelle le criminel est traité n’est pas récente et si elle ne doit pas être attribuée à un affaiblissement du tabou qui protégeait primitivement l’ertnatulunga.
  4. Nat. Tr., p. 248.
  5. Ibid., p. 545-546. Strehlow, II, p. 79. Par exemple, la poussière détachée par grattage d’un churinga de pierre et dissoute dans de l’eau constitue une potion qui rend la santé aux malades.
  6. Nat. Tr., p. 545-546. Strehlow (II, p. 79) conteste le fait.
  7. Par exemple, un churinga du totem de l’igname, déposé dans le sol, y fait pousser les ignames (North. Tr., p. 275). il a le même pouvoir sur les animaux (Strehlow, II, p. 76, 78 ; III, p. 3, 7).