Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui ont réellement déterminé ces actes. Pour bien comprendre un délire et pour pouvoir lui appliquer le traitement le plus approprié, le médecin a besoin de savoir quel en a été le point de départ. Or cet événement est d’autant plus facile à discerner qu’on peut observer ce délire à une période plus proche de ses débuts. Au contraire, plus on laisse à la maladie le temps de se développer, plus il se dérobe à l’observation ; c’est que, chemin faisant, toute sorte d’interprétations sont intervenues qui tendent à refouler dans l’inconscient l’état originel et à le remplacer par d’autres à travers lesquels il est parfois malaisé de retrouver le premier. Entre un délire systématisé et les impressions premières qui lui ont donné naissance, la distance est souvent considérable. Il en est de même pour la pensée religieuse. À mesure qu’elle progresse dans l’histoire, les causes qui l’ont appelée à l’existence, tout en restant toujours agissantes, ne sont plus aperçues qu’à travers un vaste système d’interprétations qui les déforment. Les mythologies populaires et les subtiles théologies ont fait leur œuvre : elles ont superposé aux sentiments primitifs des sentiments très différents qui, tout en tenant aux premiers dont ils sont la forme élaborée, n’en laissent pourtant transpirer que très imparfaitement la nature véritable. La distance psychologique entre la cause et l’effet, entre la cause apparente et la cause effective, est devenue plus considérable et plus difficile à parcourir pour l’esprit. La suite de cet ouvrage sera une illustration et une vérification de cette remarque méthodologique. On y verra comment, dans les religions primitives, le fait religieux porte encore visible l’empreinte de ses origines : il nous eût été bien plus malaisé de les inférer d’après la seule considération des religions plus développées.

L’étude que nous entreprenons est donc une manière de reprendre, mais dans des conditions nouvelles, le vieux problème de l’origine des religions. Certes, si, par origine, on entend un premier commencement absolu, la question n’a rien de scientifique et doit être résolument écartée. Il n’y