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ou moins long au milieu d’animaux fabuleux de l’espèce même qui a donné son nom au clan. Par suite de ce commerce intime et prolongé, il devint tellement semblable à ses nouveaux compagnons que, quand il revint parmi les hommes, ceux-ci ne le reconnurent plus. On lui donna donc le nom de l’animal auquel il ressemblait. C’est de son séjour dans ce pays mythique qu’il aurait rapporté l’emblème totémique avec les pouvoirs et les vertus qui passent pour y être attachés[1]. Ainsi, dans ce cas comme dans les précédents, l’homme est censé participer de la nature de l’animal, bien que cette participation soit conçue sous une forme légèrement différente[2].

Il a donc, lui aussi, quelque chose de sacré. Diffus dans tout l’organisme, ce caractère est plus particulièrement

  1. Voici, par exemple, une légende de Tsimshian. Au cours d’une chasse, un Indien rencontra un ours noir qui l’emmena chez lui, lui apprit à attraper le saumon et à construire les canots. Pendant deux années, l’homme resta avec l’ours ; après quoi il retourna à son village natal. Mais les gens eurent peur de lui parce qu’il ressemblait à un ours. Il ne pouvait ni parler, ni manger autre chose que des aliments crus. Alors on le frotte avec des herbes magiques et il reprit graduellement sa forme première. Dans la suite, quand il était dans le besoin, il appelait à lui ses amis les ours qui venaient l’aider. Il construisit une maison et peignit sur le fronton un ours. Sa sœur fit, pour la danse, une couverture sur laquelle un ours était dessiné. C’est pourquoi les descendants de cette sœur avaient l’ours pour emblème (Boas, Kwakiutl, p. 323. Cf. Vth Report on the N. W. Tribes of Canada, p. 23, 29 et suiv. ; Hill Tout, Report on the Ethnology of the Statlumh of British Columbia, in J.A.I., 1905, XXXV, p. 150).
    On voit par là l’inconvénient qu’il y a à faire de cette parenté mystique entre l’homme et l’animal le caractère distinctif du totémisme, comme le propose M. Van Gennep (Totémisme et méthode comparative, in Revue de l’histoire des religions, t. LVIII, 1908, juillet, p. 55). Cette parenté est une expression mythique de faits autrement profonds ; elle peut manquer sans que les traits essentiels du totémisme disparaissent. Sans doute, il y a toujours entre les gens du clan et l’animal totémique des liens étroits, mais qui ne sont pas nécessairement de consanguinité, bien qu’ils soient le plus généralement conçus sous cette dernière forme.
  2. Il y a, d’ailleurs, des mythes Tlinkit où le rapport de descendance entre l’homme et l’animal est plus particulièrement affirmé. On dit que le clan est issu d’une union mixte, si l’on peut ainsi parler, c’est-à-dire ou soit l’homme, soit la femme était une bête de l’espèce dont le clan porte le nom (V. Swanton, Social Condition, Beliefs, etc., of tlinglit Indians, XXVIth Rep., p. 415-418).