Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/206

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ils sont séparés[1]. Mais il y a aussi des différences dans la manière dont les hommes sont marqués du caractère religieux. Les jeunes gens non initiés en sont totalement dépourvus puisqu’ils ne sont pas admis aux cérémonies. C’est chez les anciens qu’il atteint son maximum d’intensité. Ils sont tellement sacrés que certaines choses défendues au vulgaire leur sont permises : ils peuvent plus librement manger de l’animal totémique, et même, comme nous l’avons vu, il y a des tribus où ils sont libérés de toute prohibition alimentaire.

Il faut donc se garder de voir dans le totémisme une sorte de zoolâtrie. L’homme n’a nullement, vis-à-vis des animaux ou des plantes dont il porte le nom, l’attitude du fidèle vis-à-vis de son dieu, puisqu’il appartient lui-même au monde sacré. Leurs rapports sont plutôt ceux de deux êtres qui sont sensiblement au même niveau et d’égale valeur. Tout au plus peut-on dire que, du moins dans certains cas, l’animal paraît occuper une place légèrement plus élevée dans la hiérarchie des choses sacrées. C’est ainsi qu’il est appelé quelquefois le père ou le grand-père des hommes du clan ; ce qui semble indiquer qu’ils se sentent vis-à-vis de lui dans un certain état de dépendance morale[2]. Encore arrive-t-il souvent, et peut-être même le plus souvent, que les expressions employées dénotent plutôt un sentiment d’égalité. L’animal totémique est appelé l’ami, le frère aîné de ses congénères humains[3]. En définitive, les liens qui existent entre eux et lui ressemblent beaucoup plus à ceux qui unissent les membres d’une même famille ; animaux et hommes sont faits de la même chair

  1. Nat. Tr., p. 460.
  2. Chez les Wakelbura, d’après Howitt, p. 146 ; chez les Bechuana, d’après Casalis, Basoulos, p. 221.
  3. Chez les Buandik, les Kurnai (Howitt, ibid.) ; chez les Arunta (Strehlow, II, p. 58).