Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/22

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notions de temps, d’espace[1], de genre, de nombre, de cause, de substance, de personnalité, etc. Elles correspondent aux propriétés les plus universelles des choses. Elles sont comme les cadres solides qui enserrent la pensée ; celle-ci ne paraît pas pouvoir s’en affranchir sans se détruire, car il ne semble pas que nous puissions penser des objets qui ne soient pas dans le temps ou dans l’espace, qui ne soient pas nombrables, etc. Les autres notions sont contingentes et mobiles ; nous concevons qu’elles puissent manquer à un homme, à une société, à une époque ; celles-là nous paraissent presque inséparables du fonctionnement normal de l’esprit. Elles sont comme l’ossature de l’intelligence. Or, quand on analyse méthodiquement les croyances religieuses primitives, on rencontre naturellement sur son chemin les principales d’entre ces catégories. Elles sont nées dans la religion et de la religion ; elles sont un produit de la pensée religieuse. C’est une constatation que nous aurons plusieurs fois à faire dans le cours de cet ouvrage.

Cette remarque a déjà quelque intérêt par elle-même ; mais voici ce qui lui donne sa véritable portée.

La conclusion générale du livre qu’on va lire, c’est que la religion est une chose éminemment sociale. Les représentations religieuses sont des représentations collectives qui expriment des réalités collectives ; les rites sont des manières d’agir qui ne prennent naissance qu’au sein des groupes assemblés et qui sont destinés à susciter, à entretenir ou à refaire certains états mentaux de ces groupes. Mais alors, si les catégories sont d’origine religieuse, elles doivent participer de la nature commune à tous les faits religieux : elles doivent être, elles aussi, des choses

  1. Nous disons du temps et de l’espace que ce sont des catégories parce qu’il n’y a aucune différence entre le rôle que jouent ces notions dans la vie intellectuelle et celui qui revient aux notions de genre ou de cause (v. sur ce point Hamelin, Essai sur les éléments principaux de la représentation, p. 63, 76, Paris, Alcan, puis P.U.F.).