Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

culier, d’un sous-totem par conséquent[1]. Or, c’est parmi les choses diverses classées sous le totem principal que sont choisis les totems de ces groupes secondaires. Elles sont donc, à la lettre, des totems virtuels et la moindre circonstance suffit à les faire passer à l’acte. Il y a en elles une nature totémique latente qui se manifeste dès que les conditions le permettent ou l’exigent. Il arrive ainsi qu’un même individu a deux totems : un totem principal qui est commun au clan tout entier et un sous-totem qui est spécial au sous-clan dont il fait partie. C’est quelque chose d’analogue au nomen et au cognomen des Romains[2].

Parfois, nous voyons même un sous-clan s’affranchir totalement et devenir un groupe autonome, un clan indépendant : le sous-totem, de son côté, devient alors un totem proprement dit. Une tribu où ce processus de segmentation a été, pour ainsi dire, porté jusqu’à son extrême limite est celle des Arunta. Déjà les indications contenues dans le premier livre de Spencer et Gillen démontraient qu’il y avait chez les Arunta une soixantaine de totems[3] ; mais les récentes recherches de Strehlow ont établi que le nombre en est beaucoup plus considérable. Il n’en compte pas moins de 442[4]. Spencer et Gillen ne commettaient donc aucune exagération quand ils disaient que « dans le pays occupé par les indigènes, il n’existe pas un objet, animé ou inanimé, qui ne donne son nom à quelque groupe totémique d’individus »[5]. Or cette multitude de totems, qui est prodigieuse quand on la compare au chiffre de la population, vient de ce que, sous l’influence de circonstances particulières, les clans primitifs se sont divisés et subdivi-

  1. V. comme exemples la tribu des Euahlayi dans le livre de Mrs Parker (p. 15 et suiv.) et celle des Wotjobaluk ( Howitt, Nat. Tr., p. 121 et suiv. ; cf. l’article de Mathews déjà cité).
  2. V. des exemples dans Howitt, Nat. Tr., p. 122.
  3. V. De quelques formes primitives de classification, p. 28, n. 2.
  4. Strehlow, II, p. 61-72.
  5. Nat. Tr., p. 112.