Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/253

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comme de sa chose, loin de lui être subordonné comme un fidèle à son dieu. Si vraiment les animaux de l’espèce totémique passaient pour incarner des ancêtres, on ne laisserait pas les membres des clans étrangers en consommer librement la chair. En réalité, ce n’est pas à l’animal comme tel que s’adresse le culte, c’est à l’emblème, c’est à l’image du totem. Or, entre cette religion de l’emblème et le culte des ancêtres, il n’existe aucun rapport.

Tandis que Tylor ramène le totémisme au culte des ancêtres, Jevons le rattache au culte de la nature[1], et voici comment il l’en dérive.

Une fois que l’homme, sous l’impression de surprise que lui causaient les irrégularités constatées dans le cours des phénomènes, eut peuplé le monde d’êtres surnaturels[2], il sentit la nécessité de s’arranger avec les forces redoutables dont il s’était lui-même entouré. Pour ne pas être écrasé par elles, il comprit que le meilleur moyen était de s’allier à quelques-unes d’entre elles et de s’assurer ainsi leur concours. Or, à cette phase de l’histoire, on ne connaît pas d’autre forme d’alliance et d’association que celle qui résulte de la parenté. Tous les membres d’un même clan s’assistent mutuellement parce qu’ils sont parents ou, ce qui revient au même, parce qu’ils se regardent comme tels ; au contraire, des clans différents se traitent en ennemis parce qu’ils sont de sang différent. La seule manière de se ménager l’appui des êtres surnaturels était donc de les adopter comme parents et de se faire adopter par eux en la même qualité : les procédés bien connus du blood-covenant permettaient d’atteindre aisément ce résultat. Mais comme à ce moment, l’individu n’avait pas encore de personnalité propre, comme on ne voyait en lui qu’une partie quelconque de son groupe, c’est-à-dire de son clan, c’est le clan dans son ensemble, et non l’individu, qui contracta

  1. Introduction to the History of Religion, p. 96 et suiv.
  2. V. plus haut, p. 38.