Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/262

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tique individuelle qui se serait spontanément généralisée.

D’ailleurs, on ne peut ramener le totémisme collectif au totémisme individuel qu’à condition de méconnaître les différences qui les séparent. Le premier est désigné à l’enfant par sa naissance ; c’est un élément de son état civil. L’autre est acquis au cours de la vie ; il suppose l’accomplissement d’un rite déterminé et un changement d’état. On croit diminuer la distance en insérant entre eux, comme une sorte de moyen terme, le droit que tout détenteur d’un totem aurait de le transmettre à qui il lui plaît. Mais ces transferts, partout ou on les observe, sont des actes rares, relativement exceptionnels ; ils ne peuvent être opérés que par des magiciens ou des personnages investis de pouvoirs spéciaux[1] ; en tout cas, ils ne peuvent avoir lieu qu’au moyen de cérémonies rituelles qui effectuent la mutation. Il faudrait donc expliquer comment ce qui était la prérogative de quelques-uns est devenu le droit de tous ; comment ce qui impliquait tout d’abord un changement profond dans la constitution religieuse et morale de l’individu a pu devenir un élément de cette constitution ; comment enfin une transmission qui, primitivement, était la conséquence d’un rite, a été ensuite censée se produire d’elle-même, par la force des choses et sans l’intervention d’aucune volonté humaine.

À l’appui de son interprétation, Hill Tout allègue que certains mythes attribuent au totem de clan une origine individuelle : on y raconte que l’emblème totémique fut acquis par un individu déterminé qui l’aurait ensuite transmis à ses descendants. Mais tout d’abord, ces mythes sont empruntés aux tribus indiennes de l’Amérique du Nord, c’est-à-dire à des sociétés qui sont parvenues à un

  1. D’après Hill Tout lui-même. « Le don ou la transmission (d’un totem personnel) ne peuvent être effectués que par certaines personnes telles que des shamanes ou des hommes qui possèdent un grand pouvoir mystérieux » (J.A.I., XXXV, p. 146). Cf. Lsngloh Parker, op. cit., p. 29-30.