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Frazer, en effet, il fait consister tout le totémisme dans la croyance en une sorte de consubstantialité de l’homme et de l’animal. Mais il l’explique autrement.

Il la dérive tout entière de ce fait que le totem est un nom. Dès qu’il y eut des groupes humains constitués[1], chacun d’eux aurait éprouvé le besoin de distinguer les uns des autres les groupes voisins avec lesquels il était en rapport et, dans ce but, il leur aurait donné des noms différents. Ces noms furent empruntés de préférence à la faune et à la flore environnantes parce que des animaux et des plantes peuvent facilement être désignés au moyen de gestes ou représentés par des dessins[2]. Les ressemblances plus ou moins précises que les hommes pouvaient avoir avec tel ou tel de ces objets déterminèrent la façon dont ces dénominations collectives furent distribuées entre les groupes[3].

Or, c’est un fait connu que, « pour esprits primitifs, les noms et les choses désignées par ces noms sont unis par un rapport mystique et transcendantal[4]  ». Par exemple, le nom que porte un individu n’est pas considéré comme un simple mot, comme un signe conventionnel, mais comme une partie essentielle de l’individu lui-même. Quand donc c’était un nom d’animal, l’homme qui le portait devait croire nécessairement qu’il avait lui-même les attributs les plus caractéristiques de ce même animal. Cette croyance s’accrédita d’autant plus facilement que les origines historiques de ces dénominations devenaient plus lointaines et

  1. Surtout dans ses Social Origins, Lang essaie de reconstituer par voie de conjecture la forme que devaient avoir ces groupes primitifs ; il nous paraît inutile de reproduire ces hypothèses qui n’affectent pas sa théorie du totémisme.
  2. Sur ce point, Lang se rapproche de la théorie de Julius Pikler (v. Pilker et Szomlo, Der Ursprung des Totemismus. Ein Beitrag zur materialislischen Geschichtstheorie, Berlin, 36 p. in-8o). La différence entre les deux hypothèses, c’est que Pikler attribue plus d’importance à la représentation pictographique du nom qu’au nom lui-même.
  3. Social Origins, p. 166.
  4. The Secret of the Totem, p. 121 ; cf. p. 116, 117.