Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou de ce même animal inspire un respect encore plus prononcé. Les sentiments semblables, que ces différentes sortes de choses éveillent dans la conscience du fidèle et qui font leur nature sacrée, ne peuvent évidemment venir que d’un principe qui leur est commun à toutes indistinctement, aux emblèmes totémiques comme aux gens du clan et aux individus de l’espèce qui sert de totem. C’est à ce principe commun que s’adresse, en réalité, le culte. En d’autres termes, le totémisme est la religion, non de tels animaux, ou de tels hommes, ou de telles images, mais d’une sorte de force anonyme et impersonnelle, qui se retrouve dans chacun de ces êtres, sans pourtant se confondre avec aucun d’eux. Nul ne la possède tout entière et tous y participent. Elle est tellement indépendante des sujets particuliers en qui elle s’incarne, qu’elle les précède comme elle leur survit. Les individus meurent ; les générations passent et sont remplacées par d’autres ; mais cette force reste toujours actuelle, vivante et semblable à elle-même. Elle anime les générations d’aujourd’hui, comme elle animait celles d’hier, comme elle animera celles de demain. À prendre le mot dans un sens très large, on pourrait dire qu’elle est le dieu qu’adore chaque culte totémique. Seulement, c’est un dieu impersonnel, sans nom, sans histoire, immanent au monde, diffus dans une multitude innombrable de choses.

Et encore n’avons-nous ainsi qu’une idée imparfaite de l’ubiquité réelle de cette entité quasi divine. Elle n’est pas seulement répandue dans toute l’espèce totémique, dans tout le clan, dans tous les objets qui symbolisent le totem : le cercle de son action s’étend au-delà. Nous avons vu, en effet, qu’outre ces choses éminemment saintes, toutes celles qui sont attribuées au clan comme dépendances du totem principal ont, en quelque mesure, le même caractère. Elles aussi ont quelque chose de religieux, puisque certaines sont protégées par des interdits et que d’autres remplissent dans les cérémonies du culte des fonctions déter-