Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

minées. Cette religiosité ne diffère pas en nature de celle qui appartient au totem, sous lequel elles sont classées ; elle dérive nécessairement du même principe. C’est donc que le dieu totémique — pour reprendre l’expression métaphorique dont nous venons de nous servir — est en elles comme il est dans l’espèce qui sert de totem et dans les gens du clan. On voit combien il diffère des êtres dans lesquels il réside puisqu’il est l’âme de tant d’êtres différents.

Mais cette force impersonnelle, l’Australien ne se la représente pas sous sa forme abstraite. Sous l’influence de causes que nous aurons à rechercher, il a été amené à la concevoir sous les espèces d’un animal ou d’un végétal, en un mot d’une chose sensible. Voilà en quoi consiste réellement le totem : il n’est que la forme matérielle sous laquelle est représentée aux imaginations cette substance immatérielle, cette énergie diffuse à travers toutes sortes d’êtres hétérogènes, qui est, seule, l’objet véritable du culte. On est ainsi mieux en état de comprendre ce que veut dire l’indigène quand il affirme que les gens de la phratrie du Corbeau, par exemple, sont des corbeaux. Il n’entend pas précisément que ce sont des corbeaux au sens vulgaire et empirique du mot, mais qu’en eux tous se trouve un principe, qui constitue ce qu’ils ont de plus essentiel, qui leur est commun avec les animaux du même nom, et qui est pensé sous la forme extérieure du corbeau. Et ainsi l’univers, tel que le conçoit le totémisme, est traversé, animé par un certain nombre de forces que l’imagination se représente sous des figures empruntées, à peu d’exceptions près, soit au règne animal, soit au règne végétal : il y en a autant que de dans la tribu et chacune d’elles circule à travers certaines catégories de choses dont elle est l’essence et le principe de vie.

Quand nous disons de ces principes que ce sont des forces, nous ne prenons pas le mot dans une acception métaphorique ; ils agissent comme des forces véritables. Ce sont même, en un sens, des forces matérielles qui engendrent