Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/280

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mécaniquement des effets physiques. Un individu entre-t-il en contact avec elles sans avoir pris les précautions convenables ? Il en reçoit un choc que l’on a pu comparer à l’effet d’une décharge électrique. On semble parfois les concevoir comme des sortes de fluides qui s’échappent par les pointes[1]. Quand elles s’introduisent dans un organisme qui n’est pas fait pour les recevoir, elles y produisent la maladie et la mort, par une réaction tout automatique[2]. En dehors de l’homme, elles jouent le rôle de principe vital ; c’est en agissant sur elles, nous le verrons[3], qu’on assure la reproduction des espèces. C’est sur elles que repose la vie universelle.

Mais en même temps qu’un aspect physique, elles ont un caractère moral. Quand on demande à l’indigène pourquoi il observe ses rites, il répond que les ancêtres les ont toujours observés et qu’il doit suivre leur exemple[4]. Si donc il se comporte de telle ou telle manière avec les êtres totémiques, ce n’est pas seulement parce que les forces qui y résident sont d’un abord physiquement redoutable, c’est qu’il se sent moralement obligé de se comporter ainsi ; il a le sentiment qu’il obéit à une sorte d’impératif, qu’il remplit un devoir. Il n’a pas seulement pour les êtres sacrés de la crainte, mais du respect. D’ailleurs, le totem est la source de la vie morale du clan. Tous les êtres qui communient dans le même principe totémique se considèrent, par cela même, comme moralement liés les uns aux autres ; ils ont les uns envers les autres des devoirs définis d’assistance, de vendetta, etc., et ce sont ces devoirs qui constituent la

  1. Dans un mythe kwakiutl, par exemple, un héros ancêtre perce la tête d’un ennemi en tendant le doigt vers lui (Boas, Vth Rep. on the North. Tribes of Canada, B.A.A.S., 1889, p. 30).
  2. On trouvera les références à l’appui de cette assertion, p. 182, n. 1, et p. 458, n. 1.
  3. V. liv. II, chap. II.
  4. V. par exemple, Howitt, Nat. Tr., p. 482 ; Schurmann, The Aboriginal Tribes of Port Lincoln, in Woods, Nat. Trof S. Australia, p. 231.