Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/313

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vulgaire, tant que l’imagination religieuse n’est pas venue les métamorphoser, nous n’avons pour elles rien qui ressemble à du respect et elles n’ont rien de ce qu’il faut pour nous élever au-dessus de nous-même. Les représentations qui les expriment nous apparaissent donc comme très différentes de celles qu’éveillent en nous les influences collectives. Les unes et les autres forment dans notre conscience deux cercles d’états mentaux, distincts et séparés, comme les deux forces de vie auxquelles elles correspondent. Par suite, nous avons l’impression que nous sommes en relations avec deux sortes de réalités, distinctes elles-mêmes, et qu’une ligne de démarcation nettement tranchée sépare l’une de l’autre : c’est, d’un côté, le monde des choses profanes, et de l’autre, celui des choses sacrées.

Au reste, tant dans le présent que dans l’histoire, nous voyons sans cesse la société créer de toutes pièces des choses sacrées. Qu’elle vienne à s’éprendre d’un homme, qu’elle croie découvrir en lui les principales aspirations qui la travaillent ainsi que les moyens d’y donner satisfaction, et cet homme sera mis hors de pair et comme divinisé. Il sera investi par l’opinion d’une majesté tout à fait analogue à celle qui protège les dieux. C’est ce qui est advenu de tant de souverains, en qui leur siècle avait foi : si l’on n’en faisait pas des dieux, on voyait du moins en eux des représentants directs de la divinité. Et ce qui montre bien que c’est la société toute seule qui est l’auteur de ces sortes d’apothéoses, c’est qu’il lui est arrivé souvent de consacrer ainsi des hommes qui, par leur mérite propre, n’y avaient aucun droit. D’ailleurs, la simple déférence qu’inspirent les hommes investis de hautes fonctions sociales n’est pas d’une autre nature que le respect religieux. Elle se traduit par les mêmes mouvements : on se tient à distance d’un haut personnage ; on ne l’aborde qu’avec précautions ; pour s’entretenir avec lui on emploie un autre langage et d’autres gestes que ceux qui servent avec le commun des mortels. Le senti-