Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/328

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sentent les forces religieuses quand elles apparaissent dans l’histoire ; comment elles sont physiques en même temps qu’humaines, morales en même temps que matérielles. Ce sont des puissances morales, puisqu’elles sont construites tout entières avec les impressions que cet être moral qu’est la collectivité éveille chez ces autres êtres moraux que sont les individus ; elles traduisent, non la manière dont les choses physiques affectent nos sens, mais la façon dont la conscience collective agit sur les consciences individuelles. Leur autorité n’est qu’une forme de l’ascendant moral que la société exerce sur ses membres. Mais d’un autre côté, parce qu’elles sont conçues sous des formes matérielles, elles ne peuvent pas n’être pas regardées comme étroitement parentes des choses matérielles[1]. Elles dominent donc les deux mondes. Elles résident dans les hommes ; mais elles sont, en même temps, les principes vitaux des choses. Elles vivifient les consciences et les disciplinent ; mais ce sont elles aussi qui font que les plantes poussent et que les animaux se reproduisent. C’est grâce à cette double nature que la religion a pu être comme la matrice où se sont élaborés tous les principaux germes de la civilisation humaine. Parce qu’elle s’est trouvée envelopper en elle la réalité tout entière, l’univers physique aussi bien que l’univers moral, les forces qui meuvent les corps comme celles qui mènent les esprits ont été conçues sous forme religieuse. Voilà comment les techniques et les pratiques les plus diverses, et celles qui assurent le fonctionnement de la vie morale (droit, morale, beaux-arts) et celles qui servent à la vie matérielle (sciences de la nature, techniques,

  1. À la base de cette conception, il y a, d’ailleurs, un sentiment bien fondé et qui persiste. La science moderne, elle aussi, tend de plus en plus à admettre que la dualité de l’homme et de la nature n’exclut pas leur unité ; que les forces physiques et les forces morales, tout en étant distinctes, sont étroitement parentes. De cette unité et de cette parenté, nous nous faisons, sans doute, une autre idée que le primitif ; mais, sous des symboles différents, le fait affirmé est le même de part et d’autre.