Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/342

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On comprend, en effet, que, là surtout où la technique est encore rudimentaire, le tatouage soit le moyen le plus direct et le plus expressif par lequel puisse s’affirmer la communion des consciences. La meilleure manière de s’attester à soi-même et d’attester à autrui qu’on fait partie d’un même groupe, c’est de s’imprimer sur le corps une même marque distinctive. Et ce qui prouve que telle est bien la raison d’être de l’image totémique, c’est que, comme nous l’avons montré, elle ne cherche pas à reproduire l’aspect de la chose qu’elle est censée représenter. Elle est faite de lignes et de points auxquels est attribuée une signification toute conventionnelle[1]. Elle n’a pas pour but de figurer et de rappeler un objet déterminé, mais de témoigner qu’un certain nombre d’individus participent d’une même vie morale.

Le clan est, d’ailleurs, une société qui peut, moins que toute autre, se passer d’emblème et de symbole, car il n’en est guère qui manque autant de consistance. Le clan ne peut pas se définir par son chef ; car, si toute autorité centrale n’en est pas absente, elle y est, du moins, incertaine et instable[2]. Il ne peut davantage se définir par le territoire qu’il occupe ; car la population, étant nomade[3], n’est pas étroitement attachée à une localité déterminée. De plus, en vertu de la loi d’exogamie, le mari et la femme sont obligatoirement de totems différents ; là donc où le totem se transmet en ligne maternelle — et ce système de filiation est encore aujourd’hui le plus général[4] — les

  1. V. plus haut, p. 178.
  2. V. sur autorité des chefs et , Nat. Tr., p. 10 ; North. Tr., p. 25 ; Howitt, Nat. Tr., p. 295 et suiv.
  3. Du moins en Australie. En Amérique, la population est le plus généralement sédentaire : mais le clan américain représente une forme d’organisation relativement avancée.
  4. Il suffit, pour s’en assurer, de regarder la carte dressée par Thomas dans Kinshio and Marriage in Australia, p. 40. Pour apprécier cette carte comme il convient, il faut tenir compte de ce fait que l’auteur a étendu, nous ne savons pourquoi, le système de la filiation totémique en ligne paternelle jusqu’à la côte occidentale de l’Australie, bien que nous n’ayons pour ainsi dire pas de renseignements sur les tribus de cette région, qui, d’ailleurs, est en grande partie, désertique.