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cœur, le souffle, le placenta[1], le sang[2], l’ombre[3], le foie, la graisse du foie, les rognons[4], etc. Ces divers substrats matériels ne sont pas, pour l’âme, de simples habitats ; ils sont l’âme elle-même vue du dehors. Quand le sang s’écoule, l’âme s’échappe avec lui. L’âme n’est pas dans le souffle ; elle est le souffle. Elle ne fait qu’un avec la partie du corps où elle réside. De là est venue la conception d’après laquelle l’homme a une pluralité d’âmes. Dispersée à travers l’organisme, l’âme s’est différenciée et fragmentée. Chaque organe a comme individualisé la portion d’âme qu’il contient et qui est ainsi devenue une entité distincte. Celle du cœur ne saurait être identique à celle du souffle ou de l’ombre ou du placenta. Bien qu’elles soient toutes patentes, elles demandent pourtant à être distinguées et portent même des noms différents[5].

D’ailleurs, si l’âme est plus particulièrement localisée sur certains points de l’organisme, elle n’est pas absente des autres. À des degrés divers, elle est diffuse dans le corps tout entier. C’est ce que montrent bien les rites mortuaires. Une fois que le dernier souffle est expiré, que l’âme est censée partie, il semble qu’elle devrait aussitôt mettre à profit la liberté ainsi reconquise pour se mouvoir à sa guise et regagner le plus vite possible sa vraie patrie qui est

  1. Roth, ibid., § 65, se, 67, 68.
  2. Roth, ibid., § 68 ; il est dit dans ce passage que, quand il y a évanouissement à la suite d’une perte de sang, c’est que l’âme est partie. Cf. Parker, The Euahlayi, p. 38.
  3. Parker, The Euahlayi, p. 29 et 35 ; Roth, ibid., § 65.
  4. Strehlow, I, p. 12, 14. Il est parlé dans ces différents passages de mauvais esprits qui tuent de petits enfants, dont ils mangent l’âme, le foie et la graisse, ou bien l’âme, le foie et les rognons. Le fait que l’âme est ainsi mise sur le même pied que les différents viscères ou tissus et constitue un aliment du même genre montre bien l’étroit rapport qu’elle soutient avec eux. Cf. Schulze, p. 246.
  5. Par exemple, chez les gens de la rivière Pennefather (Roth, ibid., § 68), il y a un nom pour l’âme qui réside dans le cœur (Ngai), un autre pour celle qui réside dans le placenta (Choi), un troisième pour celle qui se confond avec le souffle (Wanji). Chez les Euahlayi, il y a trois et jusqu’à quatre âmes (Parker, The Euahlayi, p. 35).