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et leur adresse des avertissements, de même qu’il apporte des renseignements sur eux à leurs amis endormis »[1]. Cet altjira qui parle, qui est attaché personnellement à chaque individu, est évidemment un ancêtre ; et pourtant, c’est aussi une incarnation du totem. Un texte de Roth où il est question d’invocations adressées au totem doit, sans doute, être interprété dans ce sens[2]. Il semble donc bien que le totem soit parfois représenté dans les esprits sous la forme d’une collection d’êtres idéaux, de personnages mythiques qui sont plus ou moins indistincts des ancêtres. En un mot, les ancêtres, c’est le totem fragmenté[3].

Mais si l’ancêtre se confond à ce point avec l’être totémique, il n’en peut être autrement de l’âme individuelle qui tient de si près à l’âme ancestrale. C’est, d’ailleurs, ce qui ressort également des liens étroits qui unissent chaque homme à son churinga. Nous savons, en effet, que le churinga exprime la personnalité de l’individu qui passe pour en être né[4] ; mais il exprime également l’animal totémique. Quand le héros civilisateur, Mangarkunjerkunja, présenta à chacun des membres du clan du Kangourou son churinga personnel, il s’exprima en ces termes : « Voilà le corps d’un kangourou »[5]. Ainsi, le churinga est à la fois le corps de l’ancêtre, de l’individu actuel et de l’animal totémique ; ces trois êtres forment donc, suivant une forte et juste expression de Strehlow, « une unité solidaire »[6]. Ce sont des termes en partie équivalents et substituables les uns aux autres. C’est dire qu’ils sont conçus comme des aspects différents d’une seule et même réalité, qui se définit également par les attributs distinctifs du totem. C’est le prin-

  1. Strehlow, II, p. 57.
  2. Roth, Superstition, Magic, etc., § 74.
  3. En d’autres termes, l’espèce totémique est beaucoup plus constituée par le groupe des ancêtres, par l’espèce mythique, que par l’espèce animale ou végétale proprement dite.
  4. V. plus haut, p. 363.
  5. Strehlow, II, p. 76.
  6. Strehlow, ibid.