Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effet, que l’âme, tout en étant distinguée du corps, passe pourtant pour en être étroitement solidaire : elle vieillit quand il vieillit ; elle subit le contre coup de toutes les maladies qui l’atteignent ; il devait donc paraître naturel qu’elle mourût avec lui. Tout au moins, on aurait dû croire qu’elle cessait d’exister, à partir du moment où il avait définitivement perdu sa forme première, où il ne restait plus rien de ce qu’il avait été. Cependant, c’est juste à partir de ce moment que s’ouvre pour elle une vie nouvelle.

Les mythes que nous avons précédemment rapportés nous fournissent la seule explication qui puisse être donnée de cette croyance. Nous avons vu que les âmes des nouveau-nés étaient ou des émanations d’âmes ancestrales ou ces âmes mêmes réincarnées. Mais pour qu’elles pussent soit se réincarner soit dégager périodiquement des émanations nouvelles, il fallait qu’elles survécussent à leurs premiers détenteurs. Il semble donc bien qu’on ait admis la survie des morts pour pouvoir expliquer la naissance des vivants. Le primitif n’a pas l’idée d’un dieu tout-puissant qui tire les âmes du néant. Il lui semble qu’on ne peut faire des âmes qu’avec des âmes. Celles qui naissent ne peuvent donc être que des formes nouvelles de celles qui ont été ; par suite, il faut que celles-ci continuent à être pour que d’autres puissent se former. En définitive, la croyance à l’immortalité des âmes est la seule manière dont l’homme puisse alors s’expliquer à lui-même un fait qui ne peut pas ne pas frapper son attention ; c’est la perpétuité de la vie du groupe. Les individus meurent ; mais le clan survit. Les forces qui font sa vie doivent donc avoir la même perpétuité. Or ces forces, ce sont les âmes qui animent les corps individuels ; car c’est en elles et par elles que le groupe se réalise. Pour cette raison, il faut qu’elles durent. Il est même nécessaire qu’en durant elles restent identiques à elles-mêmes ; car, comme le clan garde toujours sa physionomie caractéristique, la substance spi-