Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/397

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en général. Elle est le pouvoir qu’a l’esprit de s’élever au-dessus du particulier, du contingent, de l’individuel, pour penser sous la forme de l’universel. On peut donc dire, de ce point de vue, que ce qui fait de l’homme une personne, c’est ce par quoi il se confond avec les autres hommes, ce qui fait de lui un homme, et non tel homme. Le sens, le corps, en un mot tout ce qui individualise, est, au contraire, considéré par Kant comme l’antagoniste de la personnalité.

C’est que l’individuation n’est pas la caractéristique essentielle de la personne. Une personne, ce n’est pas seulement un sujet singulier, qui se distingue de tous les autres. C’est, en outre et surtout, un être auquel est attribuée une autonomie relative par rapport au milieu avec lequel il est le plus immédiatement en contact. On se le représente comme capable, dans une certaine mesure, de se mouvoir de lui-même : c’est ce que Leibniz exprimait d’une manière outrancière, en disant de la monade qu’elle est complètement fermée au-dehors. Or notre analyse permet de concevoir comment s’est formée cette conception et à quoi elle répond.

L’âme, en effet, expression symbolique de la personnalité, a ce même caractère. Bien qu’étroitement unie au corps, elle passe pour en être profondément distincte et pour jouir, par rapport à lui, d’une large indépendance. Pendant la vie, elle peut le quitter temporairement et elle s’en retire définitivement à la mort. Bien loin qu’elle en dépende, elle le domine de la dignité plus haute qui est en elle. Elle peut bien lui emprunter la forme extérieure sous laquelle elle s’individualise, mais elle ne lui doit rien d’essentiel. Or, cette autonomie que tous les peuples ont prêtée à l’âme n’est pas purement illusoire et nous savons maintenant quel en est le fondement objectif. Il est bien vrai que les éléments qui servent à former l’idée d’âme et ceux qui entrent dans la représentation du corps proviennent de deux sources différentes et indépendantes l’une de l’autre.