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pas tout entier ; il se dédouble seulement. Une partie de lui-même pénètre dans le corps de la femme et la féconde ; une autre continue à exister au-dehors et, sous le nom spécial d’Arumburinga, remplit l’office de génie tutélaire[1].

On voit combien grande est la parenté de cet esprit ancestral avec le genius des Latins, et le δαἰμων des Grecs[2]. L’identité fonctionnelle est complète. Le genius, en effet, c’est d’abord celui qui engendre, qui gignit ; il exprime et personnifie la puissance génératrice[3]. Mais en même temps, c’est le protecteur, le directeur de l’individu particulier à la personne duquel il est attaché[4]. Enfin, il se confond avec la personnalité même de cet individu ; il représente l’ensemble des penchants et des tendances qui le caractérisent et lui font une physionomie distinctive au milieu des autres hommes[5]. C’est de là que viennent les expressions connues indulgere genio, defraudare genium avec le sens de suivre son tempérament naturel. Au fond, le genius est une autre forme, un double de l’âme même de l’individu. C’est ce que prouve la synonymie partielle de genius et de manes[6]. Les mânes, c’est le genius après la mort ; mais c’est aussi ce qui survit du défunt, c’est-à-dire son âme. De la même manière, l’âme de l’Arunta et l’esprit ancestral qui lui sert de genius ne sont que deux aspects différents d’un seul et même être.

Mais ce n’est pas seulement par rapport aux personnes que l’ancêtre est situé d’une manière définie ; c’est aussi par rapport aux choses. Bien qu’il soit censé avoir sous terre son véritable habitat, on croit qu’il hante sans cesse l’endroit où se trouvent l’arbre ou le rocher nanja, le trou

  1. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 513.
  2. V. sur cette question Negrioli, Dei Genii presse i Romani ; les articles « Daimon » et « Genius » dans Diction. des Ant. ; Preller, Rœmische Mythologie, II, p. 195 et suiv.
  3. Negrioli, p. 4.
  4. Ibid., p. 8.
  5. Ibid., p. 7.
  6. Ibid., p. II. Cf. , Der Ursprung des Larencultus, in Archiv. f. Religionswissenschaft, 1907, p. 368-393.