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garde une sorte d’affinité pour le corps où elle a vécu, on fut naturellement amené à croire que ces âmes ancestrales continuaient à fréquenter, de préférence, ces emplacements où leur enveloppe matérielle subsistait. On les situa donc dans ces arbres, dans ces rochers, dans ces trous d’eau. C’est ainsi que chacune d’elles, tout en restant attachée à la garde d’un individu déterminé, se trouva transformée en une sorte de genius loci et en remplit la fonction[1].


Ces conceptions, ainsi élucidées, nous mettent en mesure de comprendre une forme de totémisme que nous avons dû, jusqu’à présent, laisser inexpliquée : c’est le totémisme individuel.

Un totem individuel se définit essentiellement par les deux caractères suivants : 1° c’est un être à forme animale ou végétale, qui a pour fonction de protéger un individu ; 2° le sort de cet individu et celui de son patron sont étroitement liés : tout ce qui atteint le second se communique sympathiquement au premier. Or les esprits ancestraux dont il vient d’être question répondent à la même définition. Eux aussi ressortissent, au moins en partie, au règne animal ou végétal. Eux aussi sont des génies tutélaires. Enfin un lien sympathique unit chaque individu à son ancêtre protecteur. L’arbre nanja, corps mystique de cet ancêtre, ne peut, en effet, être

  1. Il y a, il est vrai, des arbres et des rochers nanja qui ne sont pas situés autour de l’ertnatulunga ; ils sont épars sur des points différents du territoire. On dit qu’ils correspondent à des endroits où un ancêtre isolé a disparu dans le sol, a perdu un membre, laisse couler son sang ou oublié un churinga qui s’est transformé soit en arbre soit en rocher. Mais ces emplacements totémiques n’ont qu’une importance secondaire ; Strehlow les appelle des kleinere Totemplätze (I, p. 4-5). On peut donc penser qu’ils n’ont pris ce caractère que par analogie avec les centres totémiques principaux. Les arbres, les rochers qui, pour une raison quelconque, rappelaient ceux que l’on trouvait dans le voisinage de quelques ertnatulunga, inspirèrent des sentiments analogues et, par suite, le mythe qui s’était formé à propos des seconds s’étendit aux premiers.