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sement préalable comme sans raison[1]. Chez les Urabunna, à un moment donné, le novice est étendu par terre, la face contre le sol. Tous les hommes présents le frappent rudement ; puis on lui fait dans le dos une série d’entailles, de quatre à huit, disposées de chaque côté de l’épine dorsale, et une dans la ligne médiane de la nuque[2]. Chez les Arunta, le premier rite de l’initiation consiste à berner le sujet ; les hommes le lancent en l’air, le rattrapent quand il retombe pour le lancer à nouveau[3]. Dans la même tribu, à la clôture de cette longue série de cérémonies, le jeune homme vient s’étendre sur un lit de feuillages sous lequel on a disposé des braises ardentes ; il reste couché, immobile au milieu d’une chaleur et d’une fumée suffocante[4]. Chez les Urabunna, on observe un rite similaire ; mais de plus, tandis que le patient est dans cette pénible situation, on le frappe dans le dos[5]. D’une manière générale, tous les exercices auxquels il est soumis ont tellement ce caractère que, quand il est admis à reprendre la vie commune, il a un aspect pitoyable et paraît à demi stupéfié[6]. Il est vrai

  1. North. Tr., p. 331-332.
  2. Ibid., p. 335. On trouve une pratique similaire chez les Dieri (Howitt, Nat. Tr., p. 658 et suiv.).’
  3. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 214 et suiv. — On voit par cet exemple que les rites d’initiation ont parfois tous les caractères de la brimade. C’est qu’en effet la brimade est une véritable institution sociale qui prend spontanément naissance toutes les fois que deux groupes, inégaux par leur situation morale et sociale, se trouvent intimement en contact. Dans ce cas, celui qui se considère comme supérieur à l’autre résiste à l’intrusion des nouveaux venus : il réagit contre eux de manière à leur faire sentir la supériorité dont il a le sentiment. Cette réaction, qui se produit automatiquement et qui prend naturellement la forme de sévices plus ou moins graves, est destinée, en même temps, à plier les individus à leur nouvelle existence, à les assimiler à leur nouveau milieu. Elle constitue donc une sorte d’initiation. On s’explique ainsi que l’initiation, de son côté, constitue une sorte de brimade. C’est que le groupe des anciens est supérieur en dignité religieuse et morale à celui des jeunes et que, pourtant, le premier doit s’assimiler le second. Toutes les conditions de la brimade sont donc données.
  4. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 372.
  5. Ibid., p. 335.
  6. Howitt, Nat. Tr., p. 675.