Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/463

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Pour que les idées ne coexistent pas, il faut que les choses ne se touchent pas, ne soient d’aucune manière en rapports. C’est le principe même de l’interdit.

De plus, le monde du sacré est, par définition, un monde à part. Puisqu’il s’oppose, par tous les caractères que nous avons dits, au monde profane, il doit être traité d’une manière qui lui soit propre : ce serait méconnaître sa nature et le confondre avec ce qui n’est pas lui que d’employer, dans nos rapports avec les choses qui le composent, les gestes, le langage, les attitudes qui nous servent dans nos relations avec les choses profanes. Nous pouvons librement manier ces dernières ; nous parlons librement aux êtres vulgaires ; nous ne toucherons donc pas aux êtres sacrés, ou nous n’y toucherons qu’avec réserve ; nous ne parlerons pas en leur présence ou nous ne parlerons pas la langue commune. Tout ce qui est en usage dans notre commerce avec les uns doit être exclu de notre commerce avec les autres.

Mais si cette explication n’est pas inexacte, elle est pourtant insuffisante. En effet, il y a bien des êtres qui sont objets de respect sans être protégés par des systèmes d’interdictions rigoureuses comme sont celles que nous avons décrites. Sans doute, il y a une sorte de tendance générale de l’esprit à localiser dans des milieux différents des choses différentes, surtout quand elles sont incompatibles les unes avec les autres. Mais le milieu profane et le milieu sacré ne sont pas seulement distincts, ils sont fermés l’un à l’autre : entre eux, il y existe un abîme. Il doit donc y avoir, dans la nature des êtres sacrés, une raison particulière qui rend nécessaire cet état d’isolement exceptionnel et de mutuelle occlusion. Et en effet, par une sorte de contradiction, le monde sacré est comme enclin, par sa nature même, à se répandre dans ce même monde profane qu’il exclut par ailleurs : en même temps qu’il le repousse, il tend à s’y écouler dès qu’il s’en laisse seulement approcher. C’est pourquoi il est nécessaire de les tenir à distance l’un