Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/501

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traires et qui se succèdent suivant une loi déterminée. Tantôt, elle s’affirme dans tout son éclat ; tantôt elle faiblit au point qu’on peut se demander si elle ne va pas s’arrêter. Tous les ans, les plantes meurent ; renaîtront-elles ? Les espèces animales tendent à s’éteindre par l’effet de la mort naturelle ou violente ; se renouvelleront-elles à temps et comme il convient ? La pluie surtout est capricieuse ; il y a de longs moments pendant lesquels elle paraît avoir disparu sans retour. Ce dont témoignent ces fléchissements périodiques de la nature, c’est que, aux époques correspondantes, les êtres sacrés dont dépendent les animaux, les plantes, la pluie, etc., passent par les mêmes états critiques ; ils ont donc, eux aussi, leurs périodes de défaillance. Mais l’homme ne saurait assister à ces spectacles en témoin indifférent. Pour qu’il vive, il faut que la vie universelle continue, et par conséquent, que les dieux ne meurent pas. Il cherche donc à les soutenir, à les aider ; pour cela, il met à leur service les forces dont il dispose et qu’il mobilise pour la circonstance. Le sang qui coule dans ses veines a des vertus fécondantes : il le répandra. Dans les rochers sacrés que possède son clan, il ira puiser les germes de vie qui y sommeillent et il les sèmera dans l’espace. En un mot, il fera des oblations.

Ces crises externes et physiques se doublent, en outre, de crises internes et mentales qui tendent au même résultat. Les êtres sacrés ne sont que parce qu’ils sont représentés comme tels dans les esprits. Que nous cessions d’y croire, et ils seront comme s’ils n’étaient pas. Même ceux qui ont une forme matérielle et qui sont donnés dans l’expérience sensible dépendent, sous ce rapport, de la pensée des fidèles qui les adorent ; car le caractère sacré qui en fait des objets de culte n’est pas donné dans leur constitution naturelle ; il leur est surajouté par la croyance. Le kangourou n’est qu’un animal comme les autres ; mais, pour les gens du Kangourou, il contient en soi un principe qui le met à part au milieu des autres êtres, et ce principe n’existe