Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/505

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au rang de l’animalité. Les attributs caractéristiques de la nature humaine nous viennent donc de la société. Mais d’un autre côté, la société n’existe et ne vit que dans et par les individus. Que l’idée de la société s’éteigne dans les esprits individuels, que les croyances, les traditions, les aspirations de la collectivité cessent d’être senties et partagées par les particuliers, et la société mourra. On peut donc répéter d’elle ce qui était dit plus haut de la divinité : elle n’a de réalité que dans la mesure où elle tient de la place dans les consciences humaines, et cette place, c’est nous qui la lui faisons. Nous entrevoyons maintenant la raison profonde pour laquelle les dieux ne peuvent pas plus se passer de leurs fidèles que ceux-ci de leurs dieux ; c’est que la société, dont les dieux ne sont que l’expression symbolique, ne peut pas plus se passer des individus que ceux-ci de la société.

Nous touchons ici au roc solide sur lequel sont édifiés tous les cultes et qui fait leur persistance depuis qu’il existe des sociétés humaines. Quand on voit de quoi sont faits les rites et à quoi ils paraissent tendre, on se demande avec étonnement comment les hommes ont pu en avoir l’idée et surtout comment ils y sont restés si fidèlement attachés. D’où peut leur être venue cette illusion qu’avec quelques grains de sable jetés au vent, quelques gouttes de sang répandues sur un rocher ou sur la pierre d’un autel, il était possible d’entretenir la vie d’une espèce animale ou d’un dieu ? Sans doute, nous avons fait déjà un pas en avant dans la solution de ce problème quand, sous ces mouvements extérieurs et, en apparence, déraisonnables, nous avons découvert un mécanisme mental qui leur donne un sens et une portée morale. Mais rien ne nous assure que ce mécanisme lui-même, ne consiste pas en un simple jeu d’images hallucinatoires. Nous avons bien montré quel processus psychologique détermine les fidèles à croire que le rite fait renaître autour d’eux les forces spirituelles dont ils ont besoin ; mais de ce que cette