Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elles tiennent si peu à la personnalité des sujets en qui elles résident, qu’elles n’y sont jamais fixées. De même qu’elles les pénètrent du dehors, elles sont toujours prêtes à s’en détacher. Elles tendent d’elles-mêmes à se répandre plus loin et à envahir de nouveaux domaines : il n’en est pas, nous le savons, qui soient plus contagieuses, par conséquent plus communicables. Sans doute, les forces physiques ont la même propriété ; mais nous ne pouvons en avoir directement conscience ; nous ne pouvons même les appréhender comme telles, parce qu’elles nous sont extérieures. Quand je me heurte à un obstacle, j’éprouve une sensation de gêne et de malaise ; mais la force qui cause cette sensation n’est pas en moi, elle est dans l’obstacle et, par suite, elle est en dehors du cercle de ma perception. Nous en apercevons les effets ; nous ne l’atteignons pas en elle-même. Il en est autrement des forces sociales : elles font partie de notre vie intérieure et, par conséquent, nous ne connaissons pas seulement les produits de leur action ; nous les voyons agir. La force qui isole l’être sacré et qui tient les profanes à distance n’est pas, en réalité, dans cet être ; elle vit dans la conscience des fidèles. Aussi ceux-ci la sentent-ils au moment même où elle agit sur leur volonté pour inhiber certains mouvements ou en commander d’autres. En un mot, cette action contraignante et nécessitante qui nous échappe quand elle vient d’une chose extérieure, nous la saisissons ici sur le vif parce qu’elle se passe tout entière en nous. Sans doute, nous ne l’interprétons pas toujours d’une manière adéquate, mais du moins, nous ne pouvons pas ne pas en avoir conscience.

Au surplus, l’idée de force porte, d’une manière apparente, la marque de son origine. Elle implique, en effet, l’idée de pouvoir qui, à son tour, ne va pas sans celles d’ascendant de maîtrise, de domination, et corrélativement, de dépendance et de subordination ; or, les relations que toutes ces idées expriment sont éminemment sociales. C’est