Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/536

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thétiques, plus ou moins plausibles, mais qui doivent toujours être tenues en suspicion : car on ne sait pas si, dans l’avenir, quelque observation nouvelle ne viendra pas les infirmer. Un axiome que l’esprit accepte et est tenu d’accepter, sans contrôle comme sans réserves, ne saurait donc nous venir de cette source. Seules, les nécessités de l’action et surtout de l’action collective peuvent et doivent s’exprimer en formules catégoriques, péremptoires et tranchantes, qui n’admettent pas la contradiction ; car les mouvements collectifs ne sont possibles qu’à condition d’être concertés, par conséquent réglés et définis. Ils excluent les tâtonnements, source d’anarchie ; ils tendent d’eux-mêmes vers une organisation qui, une fois établie, s’impose aux individus. Et comme l’activité ne peut se passer de l’intelligence, il arrive que celle-ci est entraînée dans la même voie et adopte, sans discussion, les postulats théoriques que la pratique réclame. Les impératifs de la pensée ne sont vraisemblablement qu’une autre face des impératifs de la volonté.

Il s’en faut, d’ailleurs, que nous songions à présenter les observations qui précèdent comme une théorie complète du concept de causalité. La question est trop complexe pour pouvoir être ainsi résolue. Le principe de cause a été entendu de manières différentes suivant les temps et les pays ; dans une même société, il varie avec les milieux sociaux, avec les règnes de la nature auxquels il est appliqué[1]. On ne saurait donc, après la considération d’une seule des formes qu’il a présentées dans l’histoire, déterminer avec une suffisante précision les causes et les condi-

  1. L’idée de cause n’est pas la même pour un savant et pour un homme dépourvu de toute culture scientifique. D’autre part, beaucoup de nos contemporains entendent différemment le principe de causalité suivant qu’ils l’appliquent à des faits sociaux ou à des faits physico-chimiques. On a souvent, de la causalité, dans l’ordre social, une conception qui rappelle singulièrement celle qui fut, pendant si longtemps, à la base de la magie. On peut même se demander si un physicien et un biologiste se représentent le rapport causal de la même façon.