Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/549

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et, par suite, on n’attend de lui, en échange du culte, aucun service défini. On dit bien que, si les prescriptions rituelles sont mal observées, le Wollunqua se fâche, sort de sa retraite et vient se venger sur ses fidèles de leurs négligences. Inversement, quand tout s’est régulièrement passé, on est porté à croire qu’on s’en trouvera bien et que quelque événement heureux se produira. Mais l’idée de ces sanctions possibles n’est évidemment née qu’après coup, pour rendre compte du rite. Une fois la cérémonie instituée, il parut naturel qu’elle servît à quelque chose et, par suite, que l’omission des observances prescrites exposât à quelque danger. Mais on ne l’a pas instituée pour prévenir ces dangers mythiques ou pour s’assurer des avantages particuliers. Ceux-ci, d’ailleurs, ne sont représentés dans les esprits que de la manière la plus imprécise. Les anciens, par exemple, annoncent, quand tout est terminé, que le Wollunqua, s’il est satisfait, enverra de la pluie. Mais ce n’est pas pour avoir de la pluie qu’on célèbre la fête[1]. On la célèbre

  1. Voici en quels termes s’expriment Spencer et Gillen dans le seul passage où il soit question d’un rapport possible entre le Wollunqua et le phénomène de la pluie. Quelques jours après le rite célébré autour du tumulus, « les vieillards déclarèrent qu’ils avaient entendu parler le Wollunqua, qu’il était satisfait de ce qui s’était passé et qu’il allait envoyer de la pluie. La raison de cette prophétie, c’est qu’ils avaient entendu, comme nous-mêmes, le tonnerre retentir à quelque distance de là ». La production de la pluie est si peu l’objet immédiat de la cérémonie qu’on ne l’imputa au Wollunqua que plusieurs jours après la célébration du rite et à la suite de circonstances accidentelles. Un autre fait montre combien les idées des indigènes sont vagues sur ce point. Quelques lignes plus loin, le tonnerre est présenté comme un signe, non de la satisfaction du Wollunqua, mais de son mécontentement. Malgré les pronostics, continuent nos auteurs, « la pluie ne tomba point. Mais quelques jours après, on entendit de nouveau le tonnerre retentir au loin. Les anciens dirent que le Wollunqua grondait parce qu’il n’était pas content » de la manière dont le rite avait été accompli. Ainsi, un même phénomène, le bruit du tonnerre, est tantôt interprété comme un signe de dispositions favorables, tantôt comme un indice d’intentions malveillantes.
    Il y a cependant un détail rituel qui, si l’on acceptait l’explication qu’en proposent Spencer et Gillen, serait directement efficace. Suivant eux, la destruction du tumulus serait destinée à effrayer le Wollunqua et à l’empêcher, par une contrainte magique, de quitter sa retraite. Mais cette interprétation nous paraît très suspecte. En effet, dans la circonstance dont il vient d’être question et où l’on annonça que le Wollunqua était mécontent, ce mécontentement était attribué à ce que l’on avait négligé de faire disparaître les débris du tumulus. Cette disparition est donc réclamée par le Wollunqua lui-même, bien loin qu’elle soit destinée à l’intimider et à exercer sur lui une influence coercitive. Ce n’est probablement qu’un cas particulier d’une règle plus générale qui est en vigueur chez les Warramunga : les instruments du culte doivent être détruits après chaque cérémonie. C’est ainsi que les ornements rituels dont sont revêtus les officiants leur sont violemment arrachés, une fois que le rite est déterminé (North. Tr., p. 205).