Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/555

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de l’activité, au jeu, à l’art, à tout ce qui recrée l’esprit fatigué par ce qu’il y a de trop assujettissant dans le labeur quotidien : les causes mêmes qui l’ont appelée à l’existence lui en font une nécessité. L’art n’est pas simplement un ornement extérieur dont le culte se parerait pour dissimuler ce qu’il peut avoir de trop austère et de trop rude : mais, par lui-même, le culte a quelque chose d’esthétique. À cause des rapports bien connus que la mythologie soutient avec la poésie, on a voulu parfois mettre la première en dehors de la religion[1] ; la vérité est qu’il y a une poésie inhérente à toute religion. Les cérémonies représentatives qui viennent d’être étudiées rendent sensible cet aspect de la vie religieuse ; mais il n’est guère de rites qui ne le présentent à quelque degré.

Assurément, on commettrait la plus grave erreur si l’on ne voyait de la religion que cet unique aspect ou si même on en exagérait l’importance. Quand un rite ne sert plus qu’à distraire, ce n’est plus un rite. Les forces morales qu’expriment les symboles religieux sont des forces réelles, avec lesquelles il nous faut compter et dont nous ne pouvons faire ce qu’il nous plaît. Alors même que le culte ne vise pas à produire des effets physiques, mais se borne délibérément à agir sur les esprits, son action s’exerce dans un autre sens qu’une pure œuvre d’art. Les représentations qu’il a pour fonction d’éveiller et d’entretenir en nous ne sont pas de vaines images qui ne répondent à rien dans la réalité, que nous évoquons sans but, pour la seule satisfaction de les voir apparaître et se combiner sous nos yeux. Elles sont aussi nécessaires au bon fonctionnement de notre vie morale que les aliments à l’entretien de notre vie physique ; car c’est par elles que le groupe s’affirme et se maintient, et nous savons à quel point il est indispensable à l’individu. Un rite est donc autre chose qu’un jeu ; il est de la vie sérieuse. Mais, si l’élément irréel

  1. V. plus haut, p. 115.