Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et imaginaire n’est pas essentiel, il ne laisse pas de jouer un rôle qui n’est pas négligeable. Il entre pour une part dans ce sentiment de réconfort que le fidèle retire du rite accompli ; car la récréation est une des formes de cette réfection morale qui est l’objet principal du culte positif. Une fois que nous nous sommes acquittés de nos devoirs rituels, nous rentrons dans la vie profane avec plus de courage et d’ardeur, non seulement parce que nous nous sommes mis en rapports avec une source supérieure d’énergie, mais aussi parce que nos forces se sont retrempées à vivre, pendant quelques instants, d’une vie moins tendue, plus aisée et plus libre. Par là, la religion a un charme qui n’est pas un de ses moindres attraits.

C’est pourquoi l’idée même d’une cérémonie religieuse de quelque importance éveille naturellement l’idée de fête. Inversement, toute fête, alors même qu’elle est purement laïque par ses origines, a certains caractères de la cérémonie religieuse, car, dans tous les cas, elle a pour effet de rapprocher les individus, de mettre en mouvement les masses et de susciter ainsi un état d’effervescence, parfois même de délire, qui n’est pas sans parenté avec l’état religieux. L’homme est transporté hors de lui, distrait de ses occupations et de ses préoccupations ordinaires. Aussi observe-t-on de part et d’autre les mêmes manifestations : cris, chants, musique, mouvements violents, danses, recherche d’excitants qui remontent le niveau vital, etc. On a souvent remarqué que les fêtes populaires entraînent aux excès, font perdre de vue la limite qui sépare le licite et l’illicite[1] ; il est également des cérémonies religieuses qui déterminent comme un besoin de violer les règles ordinairement les plus respectées[2]. Ce n’est pas, certes,

  1. Notamment en matière sexuelle. Dans les corrobbori ordinaires, les licences sexuelles sont fréquentes (v. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 96-97 et North. Tr., p. 136-137). Sur les licences sexuelles dans les fêtes populaires en général, v. Hagelstange, Süddeutsches Bauernleben im Mittelatter, p. 221 et suiv.
  2. C’est ainsi que les règles de l’exogamie sont violées obligatoirement au cours de certaines cérémonies religieuses (v. plus haut, p. 309, n.). Il ne faut probablement pas chercher à ces licences un sens rituel précis. C’est simplement une conséquence mécanique de l’état de surexcitation provoqué par la cérémonie. C’est un exemple de ces rites qui n’ont pas, par eux-mêmes, d’objet défini, qui sont de simples décharges d’activité (v. plus haut, p. 545). L’indigène lui-même ne lui assigne pas de fin déterminée : on dit seulement que, si ces licences ne sont pas commises, le rite ne produira pas ses effets ; la cérémonie sera manquée.