Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/56

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distinctif auquel on prétend reconnaître les manifestations proprement religieuses.

Mais même à l’intérieur des religions déistes, on trouve un grand nombre de rites qui sont complètement indépendants de toute idée de dieux ou d’être spirituels. Il y a d’abord une multitude d’interdits. La Bible, par exemple, ordonne à la femme de vivre isolée chaque mois pendant une période déterminée[1] ; elle l’oblige à un isolement analogue pendant l’accouchement[2] ; elle défend d’atteler ensemble l’âne et le cheval, de porter un vêtement ou le chanvre serait mêlé au lin[3], sans qu’il soit possible de voir quel rôle la croyance en Iahveh peut avoir joué dans ces interdictions ; car il est absent de toutes les relations qui sont ainsi prohibées et ne saurait être intéressé par elles. On en peut dire autant de la plupart des interdictions alimentaires. Et ces prohibitions ne sont pas particulières aux Hébreux ; mais, sous des formes diverses, on les retrouve, avec le même caractère, dans d’innombrables religions.

Il est vrai que ces rites sont purement négatifs ; mais ils ne laissent pas d’être religieux. De plus, il en est d’autres qui réclament du fidèle des prestations actives et positives et qui, pourtant, sont de même nature. Ils agissent par eux-mêmes, sans que leur efficacité dépende d’aucun pouvoir divin ; ils suscitent mécaniquement les effets qui sont leur raison d’être. Ils ne consistent ni en prières, ni en offrandes adressées à un être à la bonne volonté duquel le résultat attendu est subordonné ; mais ce résultat est obtenu par le jeu automatique de l’opération rituelle. Tel est le cas notamment du sacrifice dans la religion védique. « Le sacrifice, dit M. Bergaigne, exerce une influence directe sur les phénomènes célestes[4] » ; il est tout-puissant par lui-même

  1. I, Sam., 21, 6.
  2. Lév. XII.
  3. Deutér., XXII, 10 et 11.
  4. La religion védique, I, p. 122.