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Elle peut même se prêter a bien d’autres emplois. On sait que, le sang étant chose sacrée, les femmes ne doivent pas le voir couler. Il arrive pourtant qu’une querelle éclate en leur présence et, finalement, se termine par une effusion de sang. Une infraction rituelle se trouve ainsi commise. Or, chez les Arunta, l’homme dont le sang a coulé le premier doit, pour réparer cette faute, « célébrer une cérémonie qui se rapporte soit au totem de son père soit à celui de sa mère[1] » ; cette cérémonie porte un nom spécial, Alua uparilima, qui signifie l’effacement du sang. Mais, en elle-même, elle ne diffère pas de celles que l’on célèbre lors de l’initiation ou dans les Intichiuma : elle représente un événement de l’histoire ancestrale. Elle peut donc également servir soit à initier, soit à agir sur l’espèce animale, soit à expier un sacrilège. Nous verrons plus loin qu’une cérémonie totémique peut aussi tenir lieu de rite funéraire[2].

MM. Hubert et Mauss ont déjà signalé une ambiguïté fonctionnelle du même genre dans le cas du sacrifice et, plus spécialement, du sacrifice hindou[3]. Ils ont montré comment le sacrifice communiel, le sacrifice expiatoire, le sacrifice-vœu, le sacrifice-contrat, n’étaient que de simples variantes d’un seul et même mécanisme. Nous voyons maintenant que le fait est beaucoup. plus primitif et qu’il n’est nullement limité à l’institution sacrificielle. Il n’existe peut-être pas de rite qui ne présente une semblable indétermination. La messe sert aux mariages comme aux enterrements ; elle rachète les fautes des morts, elle assure aux vivants les faveurs de la divinité, etc. Le jeûne est une expiation et une pénitence ; mais c’est aussi une prépara-

  1. Nat. Tr., p. 463. Si l’individu peut, à son choix, célébrer une cérémonie soit du totem paternel soit du totem maternel, c’est que, pour les raisons exposées plus haut (p. 261), il participe de l’un et de l’autre.
  2. V. plus bas, chap. V, p. 565.
  3. V. Essai sur le sacrifice, in Mélanges d’histoire des religions, p. 83.