Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/563

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forme première du culte. On trouvera que c’est attribuer un rôle historique bien considérable à des pratiques qui, au premier abord, font l’effet de jeux enfantins. Mais, comme nous l’avons montré, ces gestes naïfs et gauches, ces procédés grossiers de figuration, traduisent et entretiennent un sentiment de fierté, de confiance et de vénération tout à fait comparable à celui qu’expriment les fidèles des religions les plus idéalistes quand, assemblés, ils se proclament les enfants du Dieu tout-puissant. Car, dans un cas comme dans l’autre, ce sentiment est fait des mêmes impressions de sécurité et de respect qu’éveille, dans les consciences individuelles, cette grande force morale qui les domine et qui les soutient, et qui est la force collective.

Les autres rites dont nous avons fait l’étude ne sont vraisemblablement que des modalités de ce rite essentiel. Une fois admise l’étroite solidarité de l’animal et de l’homme, on sentit vivement la nécessité d’assurer la reproduction régulière de l’espèce totémique et on fit de cette reproduction l’objet principal du culte. Ces pratiques imitatives qui, à l’origine, n’avaient, sans doute, qu’un but moral, se trouvèrent donc subordonnées à une fin utilitaire et matérielle et on les conçut comme des moyens de produire le résultat désiré. Mais, à mesure que, par suite du développement de la mythologie le héros ancestral, primitivement confondu avec l’animal totémique, s’en distingua davantage, à mesure qu’il se fit une figure plus personnelle, limitation de l’ancêtre se substitua à l’imitation de l’animal ou s’y juxtaposa, et les cérémonies représentatives remplacèrent ou complétèrent les rites mimétiques. Enfin, pour atteindre plus sûrement le but où l’on tendait, on éprouva le besoin de mettre en œuvre tous les moyens dont on disposait. On avait sous la main les réserves de forces vives qui étaient accumulées dans les rochers sacrés, on les utilisa ; puisque le sang de l’homme était de même nature que celui de l’animal, on s’en servit dans le même but et