Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/616

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

semble de la vie religieuse, en même temps qu’il s’est clos plus hermétiquement au-dehors.

L’existence de cultes individuels n’implique donc rien qui contredise ou qui embarrasse une explication sociologique de la religion ; car les forces religieuses auxquelles ils s’adressent ne sont que des formes individualisées de forces collectives. Ainsi, alors même que la religion semble tenir tout entière dans le for intérieur de l’individu, c’est encore dans la société que se trouve la source vive à laquelle elle s’alimente. Nous pouvons maintenant apprécier ce que vaut cet individualisme radical qui voudrait faire de la religion une chose purement individuelle : il méconnaît les conditions fondamentales de la vie religieuse. S’il est resté jusqu’à présent à l’état d’aspirations théoriques qui ne se sont jamais réalisées, c’est qu’il est irréalisable. Une philosophie peut bien s’élaborer dans le silence de la méditation intérieure, mais non une foi. Car une foi est, avant tout, chaleur, vie, enthousiasme, exaltation de toute l’activité mentale, transport de l’individu au-dessus de lui-même. Or, comment pourrait-il, sans sortir de soi, ajouter aux énergies qu’il possède ? Comment pourrait-il se dépasser par ses seules forces ? Le seul foyer de chaleur auquel nous puissions nous réchauffer moralement est celui que forme la société de nos semblables ; les seules forces morales dont nous puissions sustenter et accroître les nôtres sont celles que nous prête autrui. Admettons même qu’il existe réellement des êtres plus ou moins analogues à ceux que nous représentent les mythologies. Pour qu’ils puissent avoir sur les âmes l’action utile qui est leur raison d’être, il faut qu’on croie en eux. Or les croyances ne sont actives que quand elles sont partagées. On peut bien les entretenir quelque temps par un effort tout personnel ; mais ce n’est pas ainsi qu’elles naissent ni qu’elles s’acquièrent ; il est même douteux qu’elles puissent se conserver dans ces conditions. En fait, l’homme qui a une véritable foi éprouve invinciblement le besoin de la répandre ; pour cela,