Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/622

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

traduire en un langage intelligible qui ne diffère pas en nature de celui que la science emploie ; de part et d’autre il s’agit de rattacher les choses les unes aux autres, d’établir entre elles des relations internes, de les classer, de les systématiser. Nous avons même vu que les notions essentielles de la logique scientifique sont d’origine religieuse. Sans doute, la science, pour les utiliser, les soumet à une élaboration nouvelle ; elle les épure de toute sorte d’éléments adventices ; d’une manière générale elle apporte, dans toutes ses démarches, un esprit critique qu’ignore la religion ; elle s’entoure de précautions pour « éviter la précipitation et la prévention », pour tenir à l’écart les passions, les préjugés et toutes les influences subjectives. Mais ces perfectionnements méthodologiques ne suffisent pas à la différencier de la religion. L’une et l’autre, sous ce rapport, poursuivent le même but ; la pensée scientifique n’est qu’une forme plus parfaite de la pensée religieuse. Il semble donc naturel que la seconde s’efface progressivement devant la première, à mesure que celle-ci devient plus apte à s’acquitter de la tâche.

Et il n’est pas douteux, en effet, que cette régression ne se soit produite au cours de l’histoire. Issue de la religion, la science tend à se substituer à cette dernière pour tout ce qui concerne les fonctions cognitives et intellectuelles. Déjà le christianisme a consacré définitivement cette substitution dans l’ordre des phénomènes matériels. Voyant dans la matière la chose profane par excellence, il en a facilement abandonné la connaissance à une discipline étrangère, tradidit mundum hominum disputationi ; c’est ainsi que les sciences de la nature ont pu s’établir et faire reconnaître leur autorité sans de trop grandes difficultés. Mais il ne pouvait se dessaisir aussi aisément du monde des âmes ; car c’est sur les âmes que le dieu des chrétiens aspire avant tout à régner. C’est pourquoi, pendant longtemps, l’idée de soumettre la vie psychique à la science faisait l’effet d’une sorte de profanation ; même aujour-