Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/624

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propre sur lequel porte la spéculation religieuse, il est évident que celle-ci ne saurait jouer dans l’avenir le même rôle que dans le passé.

Cependant, elle paraît appelée à se transformer plutôt qu’à disparaître.

Nous avons dit qu’il y a dans la religion quelque chose d’éternel ; c’est le culte, la foi. Mais les hommes ne peuvent célébrer des cérémonies auxquelles ils ne verraient pas de raison d’être, ni accepter une foi qu’ils ne comprendraient d’aucune manière. Pour la répandre ou simplement pour l’entretenir il faut la justifier, c’est-à-dire en faire la théorie. Une théorie de ce genre est, sans doute, tenue de s’appuyer sur les différentes sciences, à partir du moment où elles existent ; sciences sociales d’abord, puisque la foi religieuse a ses origines dans la société ; psychologie, puisque la société est une synthèse de consciences humaines ; sciences de la nature enfin, puisque l’homme et la société sont fonction de l’univers et n’en peuvent être abstraits qu’artificiellement. Mais si importants que puissent être les emprunts faits aux sciences constituées, ils ne sauraient suffire ; car la loi est avant tout un élan à agir et la science, si loin qu’on la pousse, reste toujours à distance de l’action. La science est fragmentaire, incomplète ; elle n’avance que lentement et n’est jamais achevée ; la vie, elle, ne peut attendre. Des théories qui sont destinées à faire vivre, à faire agir, sont donc obligées de devancer la science et de la compléter prématurément. Elles ne sont possibles que si les exigences de la pratique et les nécessités vitales, telles que nous les sentons sans les concevoir distinctement, poussent la pensée en avant, par-delà ce que la science nous permet d’affirmer. Ainsi, les religions, même les plus rationnelles et les plus laïcisées, ne peuvent pas et ne pourront jamais se passer d’une sorte très particulière de spéculation qui, tout en ayant les mêmes objets que la science elle-même, ne saurait pourtant être proprement scientifique : les