Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/63

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variables[1], le fait même du contraste est universel.

Ce n’est pas à dire cependant qu’un être ne puisse jamais passer d’un de ces mondes dans l’autre : mais la manière dont ce passage se produit, quand il y a lieu, met en évidence la dualité essentielle des deux règnes. Il implique, en effet, une véritable métamorphose. C’est ce que démontrent notamment les rites de l’initiation, tels qu’ils sont pratiqués par une multitude de peuples. L’initiation est une longue série de cérémonies qui ont pour objet d’introduire le jeune homme à la vie religieuse : il sort, pour la première fois, du monde purement profane ou s’est écoulée sa première enfance pour entrer dans le cercle des choses sacrées. Or, ce changement d’état est conçu, non comme le simple et régulier développement de germes préexistants, mais comme une transformation totius substantiae. On dit qu’à ce moment le jeune homme meurt, que la personne déterminée qu’il était cesse d’exister et qu’une autre, instantanément, se substitue à la précédente. Il renaît sous une forme nouvelle. Des cérémonies appropriées sont censées réaliser cette mort et cette renaissance qui ne sont pas entendues dans un sens simplement symbolique, mais qui sont prises à la lettre[2]. N’est-ce pas la preuve qu’entre l’être profane qu’il était et l’être religieux qu’il devient il y a solution de continuité ?

Cette hétérogénéité est même telle qu’elle dégénère souvent en un véritable antagonisme. Les deux mondes ne sont pas seulement conçus comme séparés, mais comme hostiles et jalousement rivaux l’un de l’autre. Puisqu’on

  1. La conception d’après laquelle le profane s’oppose au sacré comme l’irrationnel au rationnel, l’intelligible au mystérieux n’est qu’une des formes sous lesquelles s’exprime cette opposition. Une fois la science constituée, elle a pris un caractère profane, surtout au regard des religions chrétiennes ; il a paru, par suite, qu’elle ne pouvait s’appliquer aux choses sacrées.
  2. V. Frazer, On some Ceremonies of the Central Australian Tribes, in Australasian Association for the Advancement of Science, 1901, p. 313 et suiv. La conception est, d’ailleurs, d’une extrême généralité. Dans l’Inde, la simple participation à l’acte sacrificiel a les mêmes effets ; le sacrifiant, par cela seul qu’il entre dans le cercle des choses sacrées, change de personnalité (v. Hubert et Mauss, Essai sur le sacrifice, in Année sociol., II, p. 101).