Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/68

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qu’en Mélanésie[1], aussi bien en Grèce que chez les peuples chrétiens[2], les âmes des morts, leurs ossements, leurs cheveux comptent parmi les intermédiaires dont se sert le plus souvent le magicien. Les démons sont également un instrument usuel de l’action magique. Or, les démons sont, eux aussi, des êtres entourés d’interdits ; eux aussi sont séparés, vivent dans un monde à part et même il est souvent difficile de les distinguer des dieux proprement dits[3]. D’ailleurs, même dans le christianisme, le diable n’est-il pas un dieu déchu et, en dehors même de ses origines, n’a-t-il pas un caractère religieux par cela seul que l’enfer auquel il est préposé est un rouage indispensable de la religion chrétienne ? Il y a même les divinités régulières et officielles qui sont invoquées par le magicien. Tantôt, ce sont les dieux d’un peuple étranger ; par exemple, les magiciens grecs faisaient intervenir des dieux égyptiens, assyriens ou juifs. Tantôt, ce sont même des dieux nationaux : Hécate et Diane étaient l’objet d’un culte magique ; la Vierge, le Christ, les Saints ont été utilisés de la même manière par les magiciens chrétiens[4].

Faudra-t-il donc dire que la magie ne peut être distinguée avec rigueur de la religion ; que la magie est pleine de religion, comme la religion de magie et qu’il est, par suite, impossible de les séparer et de définir l’une sans l’autre ? Mais ce qui rend cette thèse difficilement soutenable, c’est la répugnance marquée de la religion pour la magie et, en retour, l’hostilité de la seconde pour la première. La magie met une sorte de plaisir professionnel à

  1. Codrington, The Melanesians, chap. XII.
  2. V. Hubert, art. « Magia », in Dictionnaire des Antiquités.
  3. Par exemple, en Mélanésie, le tindalo est un esprit tantôt religieux et tantôt magique (Codrington, p. 125 et suiv., 194 et suiv.).
  4. V. Hubert et Mauss, Théorie générale de la magie, in Année sociologique, t. VII, p. 83-84.