Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/69

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profaner les choses saintes[1] ; dans ses rites, elle prend le contre-pied des cérémonies religieuses[2]. De son côté, la religion, si elle n’a pas toujours condamné et prohibé les rites magiques, les voit, en général, avec défaveur. Comme le font remarquer MM. Hubert et Mauss, il y a, dans les procédés du magicien, quelque chose de foncièrement anti-religieux[3]. Quelques rapports qu’il puisse y avoir entre ces deux sortes d’institutions, il est donc difficile qu’elles ne s’opposent pas par quelque endroit ; et il est d’autant plus nécessaire de trouver par où elles se distinguent que nous entendons limiter notre recherche à la religion et nous arrêter au point où commence la magie.

Voici comment on peut tracer une ligne de démarcation entre ces deux domaines.

Les croyances proprement religieuses sont toujours communes à une collectivité déterminée qui fait profession d’y adhérer et de pratiquer les rites qui en sont solidaires. Elles ne sont pas seulement admises, à titre individuel, par tous les membres de cette collectivité ; mais elles sont la chose du groupe et elles en font l’unité. Les individus qui la composent se sentent liés les uns aux autres, par cela seul qu’ils ont une foi commune. Une société dont les membres sont unis parce qu’ils se représentent de la même manière le monde sacré et ses rapports avec le monde profane, et parce qu’ils traduisent cette représentation commune dans des pratiques identiques, c’est ce qu’on appelle une Église. Or, nous ne rencontrons pas, dans l’histoire, de religion sans Église. Tantôt l’Église est étroitement nationale, tantôt elle s’étend par-delà les frontières ; tantôt elle comprend un peuple tout entier (Rome, Athènes, le peuple hébreu), tantôt elle n’en comprend qu’une fraction (les sociétés chrétiennes depuis l’avènement du protestan-

  1. Par exemple, on profane l’hostie dans la messe noire.
  2. On tourne le dos à l’autel ou on tourne autour de l’autel en commençant par la gauche au lieu de commencer par la droite.
  3. Loc. cit. p. 19.