Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/37

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qu’ils ont toujours été, il saute aux yeux que toute éducation consiste dans un effort continu pour imposer à l’enfant des manières de voir, de sentir et d’agir auxquelles il ne serait pas spontanément arrivé. Dès les premiers temps de sa vie, nous le contraignons à manger, à boire, à dormir à des heures régulières, nous le contraignons à la propreté, au calme, à l’obéissance ; plus tard, nous le contraignons pour qu’il apprenne à tenir compte d’autrui, à respecter les usages, les convenances, nous le contraignons au travail, etc., etc. Si, avec le temps, cette contrainte cesse d’être sentie, c’est qu’elle donne peu à peu naissance à des habitudes, à des tendances internes qui la rendent inutile, mais qui ne la remplacent que parce qu’elles en dérivent. Il est vrai que, d’après M. Spencer, une éducation rationnelle devrait réprouver de tels procédés et laisser faire l’enfant en toute liberté ; mais comme cette théorie pédagogique n’a jamais été pratiquée par aucun peuple connu, elle ne constitue qu’un desideratum personnel, non un fait qui puisse être opposé aux faits qui précèdent. Or, ce qui rend ces derniers particulièrement instructifs, c’est que l’éducation a justement pour objet de faire l’être social ; on y peut donc voir, comme en raccourci, de quelle manière cet être s’est constitué dans l’histoire. Cette pression de tous les instants que subit l’enfant, c’est la pression même du milieu social qui tend à le façonner à son image et dont les parents et les maîtres ne sont que les représentants et les intermédiaires.

Ainsi ce n’est pas leur généralité qui peut servir à caractériser les phénomènes sociologiques. Une