Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/50

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S’il en a été ainsi des sciences naturelles, à plus forte raison en devait-il être de même pour la sociologie. Les hommes n’ont pas attendu l’avènement de la science sociale pour se faire des idées sur le droit, la morale, la famille, l’État, la société même ; car ils ne pouvaient s’en passer pour vivre. Or, c’est surtout en sociologie que ces prénotions, pour reprendre l’expression de Bacon, sont en état de dominer les esprits et de se substituer aux choses. En effet, les choses sociales ne se réalisent que par les hommes ; elles sont un produit de l’activité humaine. Elles ne paraissent donc pas être autre chose que la mise en œuvre d’idées, innées ou non, que nous portons en nous, que leur application aux diverses circonstances qui accompagnent les relations des hommes entre eux. L’organisation de la famille, du contrat, de la répression, de l’État, de la société apparaissent ainsi comme un simple développement des idées que nous avons sur la société, l’État, la justice, etc. Par conséquent, ces faits et leurs analogues semblent n’avoir de réalité que dans et par les idées qui en sont le germe et qui deviennent, dès lors, la matière propre de la sociologie.

Ce qui achève d’accréditer cette manière de voir, c’est que, le détail de la vie sociale débordant de tous les côtés la conscience, celle-ci n’en a pas une perception assez forte pour en sentir la réalité. N’ayant pas en nous d’attaches assez solides ni assez prochaines, tout cela nous fait assez facilement l’effet de ne tenir à rien et de flotter dans le vide, matière à demi irréelle et indéfiniment plastique. Voilà pourquoi tant de penseurs n’ont vu dans les arrangements sociaux que des combinaisons artificielles et plus ou