Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/68

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ainsi que les phénomènes qu’elles expriment, à une froide et sèche analyse révolte certains esprits. Quiconque entreprend d’étudier la morale du dehors et comme une réalité extérieure, paraît à ces délicats dénué de sens moral, comme le vivisectionniste semble au vulgaire dénué de la sensibilité commune. Bien loin d’admettre que ces sentiments relèvent de la science, c’est à eux que l’on croit devoir s’adresser pour faire la science des choses auxquelles ils se rapportent. « Malheur, écrit un éloquent historien des religions, malheur au savant qui aborde les choses de Dieu sans avoir au fond de sa conscience, dans l’arrière-couche indestructible de son être, là où dort l’âme des ancêtres, un sanctuaire inconnu d’où s’élève par instants un parfum d’encens, une ligne de psaume, un cri douloureux ou triomphal qu’enfant il a jeté vers le ciel à la suite de ses frères et qui le remet en communion soudaine avec les prophètes d’autrefois[1] ! »

On ne saurait s’élever avec trop de force contre cette doctrine mystique qui — comme tout mysticisme, d’ailleurs — n’est, au fond, qu’un empirisme déguisé, négateur de toute science. Les sentiments qui ont pour objets les choses sociales n’ont pas de privilège sur les autres, car ils n’ont pas une autre origine. Ils se sont, eux aussi, formés historiquement ; ils sont un produit de l’expérience humaine, mais d’une expérience confuse et inorganisée. Ils ne sont pas dus à je ne sais quelle anticipation transcendantale de la réalité, mais ils sont la résultante de toute sorte d’impressions et d’émotions accumulées

  1. J. Darmesteter, Les prophètes d’Israël, p. 9.