Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/17

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hommes, » dit Selden. Quand un jeune avocat dit à feu M. Mason : « Je reste dans mon cabinet pour étudier le droit. » — « Étudier le droit ! » répliqua le vétéran, « c’est au Tribunal qu’il vous faut étudier le droit ! » Et la règle est la même en littérature. Si vous voulez apprendre à écrire, c’est dans la rue qu’il faut le faire. En vue de l’expression, comme en vue de la fin des beaux-arts, vous devez fréquenter la place publique. La société, et non le collège, voilà le foyer de l’écrivain. Le scholar est un flambeau qu’allument l’amour et le désir de tous les hommes. Sa part et son revenu, ce ne sont jamais ses terres ou ses rentes, mais le pouvoir de charmer l’âme cachée qui se tient voilée derrière ce visage rosé, derrière ce visage viril. Ses productions sont aussi nécessaires que celle du boulanger ou du tisserand. Le monde ne peut se passer d’hommes cultivés. Dès que les premiers besoins sont satisfaits, les besoins supérieurs se font sentir impérieusement.

Il est difficile de nous magnétiser, de nous exciter nous-mêmes ; mais grâce à la sympathie, nous sommes capables d’énergie et d’endurance. Le sentiment de l’entente enflamme les gens d’une certaine ardeur d’exécution à laquelle ils atteindraient rarement s’ils étaient seuls. C’est là l’utilité réelle de la société : il est si facile avec les grands d’être grand, si facile de s’élever à la hauteur du modèle existant — aussi facile que pour l’amoureux de nager vers sa fiancée à travers les vagues auparavant si effrayantes. Les bienfaits de l’affection sont immenses ; et l’événement qui ne perd jamais son charme, c’est la rencontre d’êtres supérieurs en des conditions qui permettent les plus heureux rapports.