Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/52

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Mais, tout de suite, comme il longeait une petite serre en ruine, la vue d’une ombre, accroupie à la porte, l’arrêta.

— Comment, c’est toi ? s’écria-t-il étonné, en reconnaissant Flore. Qu’est-ce que tu fais donc ?

Elle aussi avait eu une secousse de surprise. Puis, tranquillement :

— Tu vois bien, je prends des cordes… Ils ont laissé là un tas de cordes qui pourrissent, sans servir à personne. Alors, moi, comme j’en ai toujours besoin, je viens en prendre.

En effet, une paire de forts ciseaux à la main, assise par terre, elle démêlait les bouts de cordes, coupait les nœuds, quand ils résistaient.

— Le propriétaire ne vient donc plus ? demanda le jeune homme.

Elle se mit à rire.

— Oh ! depuis l’affaire de Louisette, il n’y a pas de danger que le président risque le bout de son nez à la Croix-de-Maufras. Va, je puis lui prendre ses cordes.

Il se tut un instant, l’air troublé par le souvenir de l’aventure tragique qu’elle évoquait.

— Et toi, tu crois ce que Louisette a raconté, tu crois qu’il a voulu l’avoir, et que c’est en se débattant qu’elle s’est blessée ?

Cessant de rire, brusquement violente, elle cria :

— Jamais Louisette n’a menti, ni Cabuche non plus… C’est mon ami, Cabuche.

— Ton amoureux peut-être, à cette heure ?

— Lui ! ah bien, il faudrait être une fameuse cateau !… Non, non ! c’est mon ami, je n’ai pas d’amoureux, moi ! je n’en veux pas avoir.

Elle avait relevé sa tête puissante, dont l’épaisse toison blonde frisait très bas sur le front ; et, de tout son être solide et souple, montait une sauvage énergie de volonté. Déjà une légende se formait sur elle, dans le pays. On