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LA FORTUNE DES ROUGON.

tune, on clabaudera. Mais bast ! dans les moments de crise, tout arrive. Eugène voulait me faire nommer dans une autre ville. J’ai refusé, je veux rester à Plassans.

— Oui, oui, il faut rester, dit vivement la vieille femme. C’est ici que nous avons souffert, c’est ici que nous devons triompher. Ah ! je les écraserai, toutes ces belles promeneuses du Mail qui toisent dédaigneusement mes robes de laine !… Je n’avais pas songé à la place de receveur ; je croyais que tu voulais devenir maire.

— Maire, allons donc !… La place est gratuite !… Eugène aussi m’a parlé de la mairie. Je lui ai répondu : « J’accepte, si tu me constitues une rente de quinze mille francs. »

Cette conversation, où de gros chiffres partaient comme des fusées, enthousiasmait Félicité. Elle frétillait, elle éprouvait une sorte de démangeaison intérieure. Enfin elle prit une pose dévote, et, se recueillant :

— Voyons, calculons, dit-elle. Combien gagneras-tu ?

— Mais, dit Pierre, les appointements fixes sont, je crois, de trois mille francs.

— Trois mille, compta Félicité.

— Puis, il y a le tant pour cent sur les recettes, qui, à Plassans, peut produire une somme de douze mille francs.

— Ça fait quinze mille.

— Oui, quinze mille francs environ. C’est ce que gagne Peirotte. Ce n’est pas tout. Peirotte fait de la banque pour son compte personnel. C’est permis. Peut-être me risquerai-je, dès que je sentirai la chance venue.

— Alors mettons vingt mille… Vingt mille francs de rente ! répéta Félicité ahurie par ce chiffre.

— Il faudra rembourser les avances, fit remarquer Pierre.

— N’importe, reprit Félicité, nous serons plus riches que