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LES ROUGON-MACQUART.

sieurs minutes, il fut impossible de s’entendre. On entourait le messager, on le pressait de questions.

— Sacré tonnerre ! cria enfin le commandant, ne braillez donc pas comme ça. Du calme, ou je ne réponds plus de rien !

Tous retombèrent sur leurs siéges, en poussant de gros soupirs. On put alors avoir quelques détails. Le messager avait rencontré la colonne aux Tulettes, et s’était empressé de revenir.

— Ils sont au moins trois mille, dit-il. Ils marchent comme des soldats, par bataillons. J’ai cru voir des prisonniers au milieu d’eux.

— Des prisonniers ! crièrent les bourgeois épouvantés.

— Sans doute ! interrompit le marquis de sa voix flûtée. On m’a dit que les insurgés arrêtaient les personnes connues pour leurs opinions conservatrices.

Cette nouvelle acheva de consterner le salon jaune. Quelques bourgeois se levèrent et gagnèrent furtivement la porte, songeant qu’ils n’avaient pas trop de temps devant eux pour trouver une cachette sûre.

L’annonce des arrestations opérées par les républicains parut frapper Félicité. Elle prit le marquis à part et lui demanda :

— Que font donc ces hommes des gens qu’ils arrêtent ?

— Mais ils les emmènent à leur suite, répondit M. de Carnavant. Ils doivent les regarder comme d’excellents otages.

— Ah ! répondit la vieille femme d’une voix singulière.

Elle se remit à suivre d’un air pensif la curieuse scène de panique qui se passait dans le salon. Peu à peu, les bourgeois s’éclipsèrent ; il ne resta bientôt plus que Vuillet et Roudier, auxquels l’approche du danger rendait quelque courage. Quant à Granoux, il demeura également dans son coin, ses jambes lui refusant tout service.