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LES ROUGON-MACQUART.


Cependant, Rougon avait ramené Granoux dans le salon. Roudier, qui, de son coin, suivait silencieusement la scène, en appuyant de signes énergiques les propositions de mesures prudentes, vint les retrouver. Quand le marquis et Vuillet se furent également levés :

— À présent, dit Pierre, que nous sommes seuls, entre gens paisibles, je vous propose de nous cacher, afin d’éviter une arrestation certaine, et d’être libres, lorsque nous redeviendrons les plus forts.

Granoux faillit l’embrasser ; Roudier et Vuillet respirèrent plus à l’aise.

— J’aurai prochainement besoin de vous, messieurs, continua le marchand d’huile avec importance. C’est à nous qu’est réservé l’honneur de rétablir l’ordre à Plassans.

— Comptez sur nous, s’écria Vuillet avec un enthousiasme qui inquiéta Félicité.

L’heure pressait. Les singuliers défenseurs de Plassans qui se cachaient pour mieux défendre la ville, se hâtèrent chacun d’aller s’enfouir au fond de quelque trou. Resté seul avec sa femme, Pierre lui recommanda de ne pas commettre la faute de se barricader, et de répondre, si l’on venait la questionner, qu’il était parti pour un petit voyage. Et comme elle faisait la niaise, feignant quelque terreur et lui demandant ce que tout cela allait devenir, il lui répondit brusquement :

— Ça ne te regarde pas. Laisse-moi conduire seul nos affaires. Elles n’en iront que mieux.

Quelques minutes après, il filait rapidement le long de la rue de la Banne. Arrivé au cours Sauvaire, il vit sortir du vieux quartier une bande d’ouvriers armés qui chantaient la Marseillaise.

— Fichtre ! pensa-t-il, il était temps. Voilà la ville qui s’insurge, maintenant.

Il hâta sa marche, qu’il dirigea vers la porte de Rome. Là,