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LES ROUGON-MACQUART.

rire, il regardait l’enfant d’un air chagrin. Il s’assit à côté d’elle, en disant :

— Je voulais te voir, Miette. Je t’aurais attendue toute la nuit… Je pars demain matin, au jour.

Miette venait d’apercevoir le fusil couché sur l’herbe. Elle devint grave, elle murmura :

— Ah !… c’est décidé… voilà ton fusil…

Il y eut un silence.

— Oui, répondit Silvère d’une voix plus mal assurée encore, c’est mon fusil… J’ai préféré le sortir ce soir de la maison ; demain matin, tante Dide aurait pu me le voir prendre, et cela l’aurait inquiétée… Je vais le cacher, je viendrai le chercher au moment de partir.

Et, comme Miette semblait ne pouvoir détacher les yeux de cette arme qu’il avait si sottement laissée sur l’herbe, il se leva et la glissa de nouveau dans le tas de planches.

— Nous avons appris ce matin, dit-il en se rasseyant, que les insurgés de la Palud et de Saint-Martin-de-Vaulx étaient en marche, et qu’ils avaient passé la nuit dernière à Alboise. Il a été décidé que nous nous joindrions à eux. Cette après-midi, une partie des ouvriers de Plassans ont quitté la ville ; demain, ceux qui restent encore iront retrouver leurs frères.

Il prononça ce mot de frères avec une emphase juvénile. Puis, s’animant, d’une voix plus vibrante :

— La lutte devient inévitable, ajouta-t-il ; mais le droit est de notre côté, nous triompherons.

Miette écoutait Silvère, regardant devant elle, fixement, sans voir. Quand il se tut :

— C’est bien, dit-elle simplement.

Et, au bout d’un silence :

— Tu m’avais avertie… cependant j’espérais encore… Enfin, c’est décidé.