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LES ROUGON-MACQUART.

ter le logement de sa femme, rue Civadière, près de la halle : ce logement, composé de trois pièces, était beaucoup plus confortablement meublé que le sien, et ce fut avec un soupir de contentement qu’il s’allongea sur les deux excellents matelas qui garnissaient le lit.

Tout marcha bien pendant les premiers jours. Fine vaquait, comme par le passé, à ses besognes multiples ; Antoine, pris d’une sorte d’amour-propre marital qui l’étonna lui-même, tressa en une semaine plus de corbeilles qu’il n’en avait jamais fait en un mois. Mais, le dimanche, la guerre éclata. Il y avait à la maison une somme assez ronde que les époux entamèrent fortement. La nuit, ivres tous deux, ils se battirent comme plâtre, sans qu’il leur fût possible, le lendemain, de se souvenir comment la querelle avait commencé. Ils étaient restés fort tendres jusque vers les dix heures ; puis Antoine s’était mis à cogner brutalement sur Fine, et Fine, exaspérée, oubliant sa douceur, avait rendu autant de coups de poing qu’elle recevait de gifles. Le lendemain, elle se remit bravement au travail, comme si de rien n’était. Mais son mari, avec une sourde rancune, se leva tard et alla le restant du jour fumer sa pipe au soleil.

À partir de ce moment, les Macquart prirent le genre de vie qu’ils devaient continuer à mener. Il fut comme entendu tacitement entre eux que la femme suerait sang et eau pour entretenir le mari. Fine, qui aimait le travail par instinct, ne protesta pas. Elle était d’une patience angélique, tant qu’elle n’avait pas bu, trouvant tout naturel que son homme fût paresseux, et tâchant de lui éviter même les plus petites besognes. Son péché mignon, l’anisette, la rendait non pas méchante, mais juste ; les soirs où elle s’était oubliée devant une bouteille de sa liqueur favorite, si Antoine lui cherchait querelle, elle tombait sur lui à bras raccourcis, en lui reprochant sa fainéantise et son ingratitude. Les voisins étaient